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| Le contrat, 50x61 cm, acrylique sur toile, 2018, collection privée © guillaume pinard |
Si je devais désigner un livre qui a structuré mon esprit et mon imaginaire, ce serait le dictionnaire et en premier lieu le petit Larousse illustré.
Mes connaissances et mon rapport au monde ont été entièrement conditionnés par les dictionnaires. J'ai pris cette représentation du monde très au sérieux. Durant toute mon enfance, il m'a semblé que ce système coïncidait parfaitement avec le monde lui-même, au point que la réalité semblait en sortir pour l'animer et le donner en exemple. Mais un jour, j'ai découvert que certains mots ne s'y trouvaient pas. Le trouble a commencé avec les mots. Les images et leurs approximations ont suivi de très prêt. Et la consistance du monde, son organisation, celle par laquelle je le regardais s'est peu à peu fissurée, déstructurée, insinuant un rapport biaisé au langage. Je ne me suis plus intéressé qu'au masque de la langue, à sa grimace. Ce syndrome a longtemps impliqué pour moi deux conséquences possibles :
La première : continuer d’errer dans la langue pour constater que cette machine qui a l’ambition d’embrasser toute la réalité du monde expose mieux le vide qui sépare ses termes, que la pertinence de ses définitions. Aussi, puisque le cœur du monde y apparaît comme majoritairement vide, toute quête de sens s'y éprouve comme une traversée du désert ; une traversée où le langage est condamné à jouer le rôle d'un voile pudique sur l’obscénité de la séparation.
Dans cette version du langage, on enfile les termes comme un touriste enfile les capitales. On n'y cherche pas l'expérience, mais la vérification, la coïncidence entre une classification et son terrain. On ne saisit rien, même si la séquence - en trompe l’œil - donne l'impression de dérouler un récit.
La seconde : faire le deuil du monde et choisir de combiner indéfiniment et aléatoirement les termes pour former et déformer un récit mondain possible - à l’épreuve du récit de tous les autres qui manipulent les mêmes cartes - dans l’espoir de s’y inventer un corps. Une seconde hypothèse où des scénarios se succèdent sans hiérarchie, comme les combinaisons d'un jeu de hasard. Cette voie implique un espace de signification intensif où la simultanéité et la réversibilité des termes est sans cesse maintenue pour éviter la crampe. C'est un projet qui consiste à varier pour écumer. Au bout de ce chemin, on ne trouve plus que des exceptions et plus aucun moyen d'élaborer ses relations.
Ces deux voies sont également désespérantes. Hors sol.
Cette peinture désigne ce trouble. Elle montre la démesure d'un chant qui exige que l'humain quitte son bureau et participe à une nouvelle économie des signes.
