vendredi 2 mars 2018

Madeleine Brissou



La rencontre, 30 x 30 cm, acrylique sur toile, 2015, collection privée © Guillaume Pinard

 Au musée des Beaux-Arts de Rennes et entre autres merveilles il y a un petit tableau de Pablo Picasso issu d'un de ses séjours à Dinard. Ce tableau a tout pour me plaire. Il est de petite taille. Il représente une femme nue qui joue sur la plage et exhibe son intimité sans pudeur. Il semble avoir été peint rapidement. Sa composition est simple, mais d'une efficacité redoutable. Bref, de cette œuvre, se dégagent une joie et une liberté communicative et salvatrice. Voilà des sentiments que j'aime voir émaner d'une peinture.

Baigneuse, 24,5 x 35 cm, huile sur toile, 15 août 1928, Pablo Picasso, Musée des Beaux-Arts de Rennes
Ma peinture la rencontre est un clin d'œil explicite à celle de Picasso.

Quelque temps plus tard, je découvre le film de Woody Allen Minuit à Paris sorti en 2011.

Je rappelle ici l'histoire. Un résumé glané sur Wikipédia.
" Gil (Owen Wilson) et Inez (Rachel Mc Adams) sont deux jeunes fiancés américains préparant leur mariage. Ils passent quelques jours à Paris, accompagnant les parents d'Inez venus en France pour affaires. Alors que Gil est sous le charme de la capitale française et envisage de s'y installer, ni sa promise, ni ses futurs beaux-parents ne l'apprécient outre mesure. La rencontre inopinée avec un autre couple américain dont le mari est un ancien flirt d'Inez, suffisant et imbuvable, va contribuer à éloigner un peu plus les jeunes fiancés.
Gil parcourt la ville à la recherche de l'inspiration pour son prochain roman et, alors que les douze coups de minuit ont sonné, il est invité à monter dans une vieille voiture qui va l'emporter vers le Paris des années 1920. Au fil des nuits, il va alors rencontrer Zelda et F. Scott Fitzgerald, Cole Porter, Ernest Hemingway, Juan Belmonte, Gertrude Stein, Pablo Picasso, T. S. Eliot, Salvador Dalí, Luis Buñuel, Man Ray, Henri de Toulouse-Lautrec, Henri Matisse… Il va peu à peu tomber amoureux d'Adriana (Marion Cotillard), qui est alors l'égérie de Picasso après avoir été celle de Modigliani. "

Dans son deuxième voyage à travers le temps, Gil se retrouve chez Gertrud Stein. Elle polémique avec Pablo Picasso sur le sens d'une de ses dernières peintures. Et quelle peinture ? Notre peinture ! La baigneuse du 5 août 1928 ! Mais surprise, le format de la peinture a changé. Nous sommes passés - à vue d'oeil - d'un châssis 5P (24 x 35 cm) à un 25P (60 x 81 cm).
On se demande pourquoi la décoratrice Anne Seibel et/ou Woody Allen ont choisis un si petit tableau pour finalement le reproduire en si grand. Oui, il passe mieux à l'écran dans ce format, mais l'œuvre de Picasso est assez riche en tableaux de baigneuses ou de femmes nues pour en trouver un qui réponde aux besoins de la scène. Et puis les commentaires de ce Picasso d'opérette sur son tableau sont 100% fictionnels. Il prétend avoir peint le portrait d'Adriana (Marion Cotillard). Or, Adriana n'a jamais existé. Elle ne correspond à aucune amante connue de Picasso. Si ce tableau devait représenter une de ses maîtresses, ce serait Marie-Thérèse Walter dont il tombe amoureux en 1927, mais qui ne vient à Dinard qu'en 1929. La photo que Picasso prend d'elle en 1929 est d'ailleurs peut-être un moyen d'exhausser le fantasme de sa peinture de 1928. Bref, admettons la fiction et le rêve du voyageur dans le temps et autorisons à Woody Allen toutes ces libertés d'auteur.

Marie-Thérèse Walter on the beach at Dinard, summer 1929. Photograph by Picasso, Collection Maya Widmaier Picasso

Mais quelques minutes plus tard, quand l'écrivain Gil revient dans le présent et qu'il est embarqué avec sa femme dans une visite guidée au musée de l'Orangerie conduite par un certain Paul, un historien de l'art dont on comprend que Woody Allen veut en faire un personnage hautain et antipathique, nous retrouvons la baigneuse exposée ! Notre baigneuse qui a encore changé de taille sans retrouver pourtant celle de originale. (Je passe sur la qualité de la reproduction qui ne parvient même pas à faire illusion à l'écran. Ce qui est pourtant le minimum requis.). Et voilà ce que Paul dit à propos de ce tableau : 

" If I’m not mistaken he painted this marvelous portrait of his French mistress Madeline Brissou in the twenties ".


Madeleine Brissou ? On vient déjà de faire l'effort d'accepter Adriana comme amante fictive de Picasso et maintenant, il faut avaler Madeleine Brissou ? Ok, Pablo Picasso a peint une Madeleine aux alentours de 1904. Elle fut sûrement sa maîtresse. Mais en 1904 et pas en 1928 ! Et elle ne s'appelait pas Brissou ! Alors d'où sort cette Madeleine Brissou ? Et bien de l'imagination de Woody Allen, au même titre qu'Adriana dont elle est certainement le pendant imaginaire dans le monde présent. Pourquoi Woody Allen a t'il décidé d'inventer cette identité fictionnelle au milieu de tous ces personnage historiques ? Je ne comprends pas. Par contre, je suppose que le choix du tableau a été motivé par les frais de reproduction de l'œuvre à l'écran. Ils sont exorbitants pour des artistes de ce calibre et le choix de ce tableau moins connu a dû rendre l'ardoise acceptable.

Que les raisons soient acceptables ou pas, j'aime que la taille originale d'un tableau puisse finir par nous échapper. En raison de la multiplication des reproductions sur internet, cette tendance se généralise. Les dimensions, mais aussi le titre et la date de réalisation, voire son attribution sont désormais soumis à caution. Cette image publiée sur iphotoscrap en témoigne qui entérine la fiction de Woody Allen.



Où celle-ci, publiée sur un site culturel espagnol qui indique une date de réalisation erronée.
On pourrait multiplier les exemples...


Il me plait d'enquêter pour remonter la piste du tableau original et accéder à son coffre-fort, d'enfiler les pièces à conviction pour finalement découvrir - comme pour les chaudrons aux pieds des arcs-en-ciel - que ces coffres n'existent pas ; qu'il n'y a pas de secret caché au cœur des œuvres d'arts, mais une capacité chez elles à produire une animation parasitaire, à propager une rumeur, un écho, une illusion propre à nous fasciner. Si l'on débarrasse l'œuvre d'art de ce nuage, de ce bruit de fond, si la connaissance n'est pas à la hauteur de ce papillonnement, l'œuvre se raidit et son mystère flétrit.

Cartes postales qui reproduisent mon tableau La rencontre, 2016 © Guillaume Pinard & Galerie Anne Barrault

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