vendredi 8 novembre 2019

Vivre comme un chien

Raccoon, 56x42 cm, pastel sec sur papier, 2018, collection privée © guillaume pinard

Le mercredi 9 octobre 2019, alors que j'étais en visite au musée des Beaux-Arts de Rennes, il m'est venu à l'esprit de compter tous les chiens qui apparaissaient dans les œuvres de cette collection.

Le jeu était absurde, mais cette méthode de visite m'aura obligé à fouiller des tableaux que je n'avais pas regardés attentivement auparavant et à reconsidérer une œuvre de Pieter Wouwerman (1623-1682) datée de 1665 et intitulée La foire aux chevaux de Valkenburg.

Pieter Wouwerman, La foire aux chevaux de Valkenburg, 137x188 cm, 1665, Musée des Beaux-Arts de Rennes

Quel est le rapport entre ce tableau et mon pastel ? Il faut d'abord que je fasse un détour avant de l'expliquer. Lorsque j'ai dessiné ce raton laveur devant un fond vert qui occulte une partie du paysage, je voulais montrer le trucage de ma méthode qui consiste à incruster des animaux dans des paysages où ils ne s'y trouvent pas originellement. Je voulais aussi déjouer le charme pittoresque de la scène et révéler ses ressors. Néanmoins, le résultat obtenu aura dépassé mon dessein. Julie Portier (journaliste, critique d'art et commissaire d’exposition) qui visitait une exposition à Berlin et qui connaissait mon pastel m'envoya la photographie d'un tableau de Cranach l'Ancien invoquant l'antériorité de mon principe. Une draperie également verte y occulte le paysage pour séparer le divin du mondain et exalter le caractère sacré de cette relation.

Luchas Cranach l'ancien, La vierge à l'enfant avec Sainte Anne, 42x27,9cm, vers 1518, Gemäldegalerie (Berlin)

 S'il n'est pas question de divin dans ma scène, j'y élabore néanmoins une séparation. Le raton laveur n'est pas prisonnier du cadre qui l'isole de son environnement (et promet d'y substituer une autre incrustation, un nouveau décor), mais puisque l'animal est sans entrave et d'un caractère facétieux, on peut aussi envisager qu'il parasite un dispositif qui ne le concernait pas, qu'il est passé de l'autre côté du voile.

Je reviens maintenant à Pieter Wouwerman. Certes, le peintre Néerlandais n'est pas un grand inventeur de forme (il faudra se tourner vers son frère Philips pour trouver l'ambassadeur de cette formule animalière et peut-être vers Pieter van Laer a qui les deux frères - ainsi que Jan le troisième - raviront une partie des idées ainsi que le marché attenant), mais sa composition est cependant astucieuse et dissimule une énigme.

On retrouve la ligne d'horizon basse typique des paysages hollandais du siècle d'or permettant de laisser une grande place au ciel et aux nuages qui semblent peser sur l'ensemble de la scène. 
Deux points de fuites organisent une perspective discrète. La première projette la réunion mondaine vers les champs et la périphérie de la ville à gauche du tableau, la seconde, par l'alignement de chevaux fait converger le regard vers l'église, le centre névralgique de l'organisation urbaine. Malgré ces perspectives, les zones principales du tableau se distinguent par plans successifs. Ciel, église, ville et place où se déroule la foire, hiérarchisant du plus lointain au plus proche l'ordre des choses.


Mais la singularité de cette peinture tient dans l'organisation de ce premier plan où se déroule le sujet proprement dit. Son organisation semble aspirée par la perspective centrale pour laisser un espace en demi cercle bailler et accueillir en son centre une scène de négoce dans laquelle se distingue un chien.

Une fois que ce chien est aperçu, sa présence devient proprement obsédante. Son traitement tout d'abord : si ce n'est le blanc qui illumine l'extrémité de sa queue, il apparait comme une tâche noire, une béance qui traverse le tableau, un trou, une issue inattendue au milieu du tumulte. Sa position ensuite : sa truffe pointe à l'exacte verticale de la flèche de l'église. Son attitude enfin : au milieu d'une grande agitation de chevaux et d'humains et le tintamarre qu'on peut imaginer et presque entendre, le chien noir est la seule créature statique et silencieuse qui échappe à toute interaction, le seul être qui expose sa solitude, la nudité de sa présence. Il est le spectateur méditatif et dégagé des affaires mondaines, une place où je veux me tenir.


Ce chien - comme mon raton laveur - est le cheveux sur la soupe de cette représentation, il n'est pas à la bonne place, sur le bon plan, n'a pas la bonne attitude, sauf à retourner toute la machine de vision et discréditer le sérieux de l'agitation humaine pour la voir résolument comme une pure comédie.

Bébé pépé

Bébé pépé, 2023, Acrylique sur toile, 40x30, ©guillaume pinard À plusieurs reprises, il m'est arrivé de prendre des poupées comme modèle...