mardi 23 juin 2020

Le bourdon dit à la pâquerette

Silo, 2020 dessin mural, peinture et fusain 220 x 150 cm © guillaume pinard
(vue de mon exposition personnelle La Raccoon Academy à l'artothèque de Caen)

Le 08 mars 2020, à l'occasion d'une visite guidée dans mon exposition  La Raccoon Academy à l'Artothèque de Caen, alors que je commentais ce dessin mural*, je me suis entendu dire que j'avais formé un “ trompe l'œil d'image ”.

Lorsqu'il faut présenter son travail dans de telles circonstances, il n'est pas rare de répéter des formules toutes faites, des mots qui ont déjà prouvés leur efficacité, des idées que l'on croit assez solides pour mériter d'être partagées. Il arrive aussi que l'exaltation, portée par la réceptivité du public et/ou le sentiment d'un travail accompli à la hauteur de ses espérances, galvanise notre imagination et nous pousse à inventer des hypothèses en direct. C'est ce qui m'est arrivé ce jour-là quand j'ai dit : trompe l'œil d'image. Formule aberrante si l'on considère que la technique du trompe l'œil a pour visée de rendre l'objet de sa représentation confondante, de dissimuler tous les moyens qui la supportent et en priorité sa qualité d'image.

Pourtant, ce paradoxe m'a parut séduisant au point qu'il tourne dans ma tête depuis cette date. Certes, j'avais déjà pressenti ce paradoxe ici, en pointant mon désir de constituer des images qui pourraient être primitives aux objets et formes qu'elles représentent ; mais cette expression : " trompe l'œil d'image " m'obligeait à patouiller encore dans cette mélasse.

Je repense ici à cette nouvelle d'Andersen, intitulée L'ombre. Un scientifique nordique en voyage dans un pays chaud, intrigué par l'activité qu'il observe dans un appartement voisin, libère son ombre pour qu'elle puisse espionner le logement à sa place. Le lendemain - alors que l'expression de cette invite était proprement métaphorique - le savant découvre, éberlué, la réalité de cette disparition. Après quelques années, revenu dans son pays du nord et ayant vu une nouvelle ombre remplacer la précédente, l'ombre disparue vient lui rendre visite sous la forme d'un homme fait de chair et d'os. Celle-ci lui fait alors le récit de la bonne fortune qu'a suscitée son émancipation et lui révèle aussi le secret de l'appartement où elle avait été abandonnée. Cet appartement ne logeait rien de moins que la poésie.
La suite du conte décrit comment le savant devient progressivement l'obligé de son ombre jusqu'à devenir l'ombre de son ombre et sa victime, puisque - voyant son ancien maître offusqué par son servage et commencer à la menacer de révéler la falsification - elle décide de le faire purement et simplement exécuter.

Mon " trompe l'œil d'image " aurait donc cette vocation de vouloir passer pour l'original de son référent. Mais si dans la nouvelle d'Andersen, ce renversement semble présenter une issue immorale et funeste, je veux voir ce mouvement d'une autre manière. Comme la progéniture d'un organisme vivant constitue le rajeunissement d'un patrimoine génétique ancestral, la remise à zéro d'un compteur, son reboot, je vois mon dessin comme une descendance. À ce titre, toute œuvre est un ADN fossile, un patrimoine emprisonné dans l'ambre de sa forme, un mode de vie en latence prêt à se reproduire au contact d'un nouveau génome. J'ai déjà exprimé dans ce blog l'hypothèse selon laquelle cet engendrement pourrait être le fruit d'une rencontre entre deux artistes, mais je me demande aujourd'hui, si la danse mimétique de ces auteurs ou autrices ne dissimulerait pas un mouvement plus secret et plus fondamental ; un mouvement indifférent à nos aspirations humaines.
Ne serions-nous pas les pollinisateurs ignorants d'un processus de reproduction imaginale qui dépasse nos existences, les obligés d'un système qui cherche à contrôler nos désirs ? La dramaturgie d'Orphée et sa pulsion nécrophile ne masquerait-elle pas un programme poétique indiscernable qui concourrait à notre épuisement ?

Et mon paradoxe dirait la nécessité de toujours regarder le destin du bourdon au regard des intérêts de la pâquerette.

*Ce dessin reproduit une statuette en calcaire découverte en 2012 au fond d'un silo de la seconde moitié du XIIe siècle (ou de la première moitié du XIIIe) à Villiers, sur la commune de Maillé (département d'Indre et Loire). Néanmoins, il est impossible de dater cette statuette. On ne sait pas si elle est issue de la période romaine et réutilisée à l'âge médiévale ou si elle est contemporaine du site de sa découverte ; mais quelle que soit sa date, c'est probablement une statuette votive de fertilité.



Bébé pépé

Bébé pépé, 2023, Acrylique sur toile, 40x30, ©guillaume pinard À plusieurs reprises, il m'est arrivé de prendre des poupées comme modèle...