samedi 11 décembre 2021

Quand je serai peintre

Quand je serai peintre, 2021, huile sur toile, 42 x 33 cm, © Guillaume Pinard

 

Le titre de cette peinture réagit à une remarque qui m'a été faite à de nombreuses reprises, remarque selon laquelle je ne serais pas un peintre mais un illustrateur.

 

Je suis toujours très étonné de voir des esprits avisés et instruits de la polymorphie de l'art, pâlir lorsque cette frontière entre la peinture et l'illustration semble avoir été franchie. Je voudrais comprendre ce que recouvre ce mépris ordinaire de l'illustration.

 

Récemment encore, le 11 avril 2021, dans l’émission radiophonique animée par Jean de Loisy sur France Culture « L’art est la matière », le peintre Gérard Garouste, interrogé sur les moyens qu’il mettait en œuvre pour se préserver de l'illustration, répondait :

 
 
 

Où l'on entend que l'illustration est finalement le fantasme/paillasson d'une essentialisation de la peinture (paillasson parfois aussi utilisé pour identifier le territoire du dessin, ce qui est encore plus acrobatique et cocasse).

 

Et il faut une bonne dose de mauvaise foi pour prétendre que la littéralité de l'illustration équivaut à une transparence. En raison de son mouvement didactique qui recherche un langage objectif et commun, compréhensible par le plus grand nombre, elle développe des formes de lisibilité et de synthèse toujours nouvelles, elle forme et déforme des normes de représentation. À ce titre elle n'est ni plus ni moins idéologique et créative que « la peinture », soumise également au jugement critique et à l'interprétation.

 

Mais ce n'est pas le problème. L'artiste redoute plutôt l'adhésion populaire, de voir l'acuité de sa pensée galvaudée par la plèbe, l'originalité de sa recherche plastique comparée aux techniciens du récit, son statut libéral dégradé au contact du mécano. C’est une vieille histoire ; et je sais que ce détracteur repousserait vigoureusement cette accusation de distinction en démontrant que lui aussi manipule cette matière, ne rechigne pas à encanailler ses formes, à considérer le sort des braves gens. C'est pourquoi ce mépris ordinaire est finalement sans objet, fantasmatique dans son expression mais politique dans ses bases.

 

Inutile donc ici de céder au piège de l'essentialisation d'une pratique au prétexte de vouloir en déconstruire une autre, car ma réaction épidermique devant les arguments grossiers des « ennemis » de l'illustration procède surtout - on l'aura compris - du sentiment de voir s'exprimer un mépris de classe ou bien la reproduction mimétique de ce mépris pour avoir l'air d'en être (ce qui est plus triste encore), plutôt que le résultat d'une sérieuse analyse épistémologique. 

 

Sans doute suis-je particulièrement requis quand des charges stigmatisent mes déterminations sociales et culturelles. Car oui, mon imaginaire s'est forgé dans l'illustration, par la fréquentation passionnée des dictionnaires, des encyclopédies, des illustrés, par des livres qui représentaient et racontaient le monde, qui avaient l'ambition d'en transmettre les contours et les complexités, les fictions aussi. Ils relevaient du même régime de réalité que les arts visuels et produisaient les mêmes efforts pour essayer d'en témoigner. 

 

Et aujourd'hui, si j'aspire à un syncrétisme entre des sources iconographiques hétérogènes, une forme de polygraphisme, je ne supporte toujours pas qu'incidemment, la part de l'illustration soit déclassée ou renvoyée à la facilité, au kitsch, au mauvais goût ou à la pornographie. Cette condescendance, soit-elle ignorante d'elle-même me fait toujours bondir.

Bébé pépé

Bébé pépé, 2023, Acrylique sur toile, 40x30, ©guillaume pinard À plusieurs reprises, il m'est arrivé de prendre des poupées comme modèle...