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| Sœurs, 24 x 19 cm, acrylique sur toile, 2018, collection privée © guillaume pinard |
Madeleine et Mary Collinson sont célèbres pour avoir été les premières vraies jumelles employées comme Playmates. C'est dans le numéro d'octobre 1970 du célèbre magazine Playboy qu'elles sont apparues pour la première fois.
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Madeleine et Mary Collinson |
C'est la peintre Nina Childress qui a attiré mon attention sur elles. Elle venait de finir une série de tableaux réalisés à partir d'images de ces sœurs issues de magazines ou de films dans lesquels elles étaient apparues lorsque nous avons été invités à exposer ensemble.
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| Nina Childress — twin beds — 2017— huile sur toile — 60 x 73 cm |
Elle m'a proposé ce sujet comme point de départ de notre exposition.
Qu'un duo occasionnel de peintres puisse proposer une exposition sur un sujet marqué par l'image du double dans un univers érotique était séduisant. J'ai accepté. En peinture, le dédoublement est si chargé de références historiques qu'il peut vite confiner à l'exercice de style. Je n'ai pas tout à fait échappé à cet écueil. Je peux même avouer que si j'aime notre exposition et les tableaux qu'a suscitée cette relation picturale, j'ai maintenant le sentiment de n'avoir compris l'intérêt de ce sujet qu'après-coup et qu'à ce titre le travail reste à faire.
C'est le dernier tableau que j'ai réalisé pour ce projet (le sujet de ce post) qui m'a mis la puce à l'oreille. D'abord, je n'ai pas vu la qualité de ce tableau. J'ai même hésité à le présenter dans l'exposition. Il me semblait trop éloigné de l'univers érotique des jumelles Collinson. Trop tendre. Sa justification était pourtant logée dans le twin beds de Nina Childress. Elle me crevait les yeux, mais je ne la voyais pas.
Il aura fallu que je visite l'exposition de Mary Cassatt au Musée Jacquemart-André pour formuler mon idée. Je connaissais déjà bien le travail de Mary Cassatt. J'avais repris un de ses tableaux dans un dessin mural présenté en 2013 à la Galerie Edouard Manet de Gennevilliers. C'est d'ailleurs l'apparition de ce tableau sur l'affiche de l'exposition (aperçue dans les couloirs du métro) qui a attiré mon attention sur cet évènement et qui m'y a conduit. Ce tableau étant conservé à la National Gallery of Art de Washington, je n'avais pas eu l'occasion de le voir sur pièce. C'était donc l'occasion d'y remédier.
Lorsque j'avais choisi ce tableau pour en faire un dessin mural, plusieurs conditions avaient alors présidé à ce choix : Gennevilliers d'abord, cité de peintres impressionnistes dont je souhaitais rappeler l'histoire sans sombrer dans le cliché, ensuite la conscience que je n'avais pas encore travaillé à partir de l'œuvre d'une femme peintre et qu'il était temps de corriger ce défaut ; et enfin, l'indolence enfantine d'une fillette vautrée sur un fauteuil cossu dont j'imaginais la portée de l’agrandissement.
J'aime la photographie que j'ai prise de mon dessin mural et dans laquelle on voit cette fillette devenue géante, reine avachie dans sa condition bourgeoise, qui domine et toise son monde.
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| Mary, Dessin au fusain, 300 x 400 cm. Vue de l'exposition « .doc», une proposition du label hypothèse, galerie Édouard-Manet, Gennevilliers, 2013
© Guillaume Pinard
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Dans l'exposition de Marie Cassatt au Musée Jacquemard André, je suis tombé sur le portrait d’Alexander Cassatt (frère de Mary) et de son fils. J'ai tout de suite fait le lien avec ma petite peinture. Deux corps qui se mélangent par les cheveux et par le corps, un corps filial ou flottent deux paires d'yeux alignés et mélancoliques, comme absentés du monde.
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| Mary Cassatt, Portrait d’Alexander Cassatt et son fils, Robert Kelso Cassatt, huile sur toile, 100.3 × 81.3 cm, 1884, Philadelphia Museum of Art |
Revenant à l'exposition partagée avec Nina Childress, je me suis alors dit que notre sujet n'était pas la gémellité, le double ou je ne sais quelle autre idée formelle. J'ai pensé que l'évènement de l'irruption des sœurs Collinson dans l'univers de la photo de charme ne tenait pas à l'étrangeté de leur ressemblance, mais au fait que cette ressemblance indiquait leur filiation et par conséquent l'entrée de la famille dans l'érotisme. Cette irruption incarnait la désacralisation de l'institution familiale avec le mélange de joie et d'angoisse mélancolique qu'implique toute profanation.
La pose adolescente des sœurs Collinson dans le twin beds de Nina Childress confrontée à une femme sexualisée par sa tenue transparente rouge au milieu d'une chambre, dont on ne sait pas si c'est une chambre d'adolescentes ou bien un motel glauque, suscite un érotisme retors. Contemple-t-on l'émancipation de deux jeunes filles surprises de se réveiller en tenue de lolitas au milieu d'un bordel ou bien les prémices d'un fait divers ?
De la même manière, le tableau de Mary Cassatt est tendre par la pose du père et de son fils, cependant que les deux protagonistes ne semblent rien partager de leur méditation ; comme si les convenances sociales qui régissaient leur lien filial les figeaient dans la crampe, que la tendresse désirée ne trouvait pas encore de chemin pour s'exprimer.
Le décalage entre la tendresse filiale et la violence des conventions sociales, l'immersion de cette douceur dans l'érotisme et ses clichés : voilà ce qu'auraient dû être mes sujets...





