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| Les chutes du Niagara, 2016, acrylique sur toile,50x90 cm |
En 2016, j'ai été invité par le centre culturel Phakt à Rennes pour concevoir un projet de dessin contributif.
J'ai mené plusieurs projets de ce type après m'être intéressé au sort réservé au public dans les opérations de médiation culturelle. Mon livre Un art sans destinataire paru en 2010 et le blog homonyme que j'ai tenu entre 2011 et 2016 développent des réflexions à ce sujet.
Pour ce projet, j'avais décidé d'inviter toute personne en âge de tenir un bâton de fusain à venir reproduire le tableau de Paul Gauguin intitulé Village breton sous la neige.
Prendre un tableau de Gauguin dépeignant un village breton pour ce projet en Bretagne relevait très clairement du cliché. Ce choix avait pour avantage de suspendre le doute sur la qualité patrimoniale du tableau comme de l'artiste. Par ailleurs, ce tableau, digne d'une carte postale, transporte une histoire riche de rebondissements qui nourrissent la légende de l'artiste comme celle de cette œuvre.
"De retour à Papeete le 20 Août 1903, Ségalen participe à l'un des
épisodes les plus regrettables de l'histoire de l'art moderne et l'une
des scènes les plus célèbres sur le théâtre des colonies françaises :
la vente aux enchères des derniers biens de Gauguin, tenue le 2
septembre 1903. Après avoir eu l'occasion d'examiner de près ces biens à
bord de la Durance, il a résolu de se porter acquéreur, et
achète vingt-quatre lots pour l'équivalent d'un mois de salaire. Il est
conscient des malentendus qui entourent l’œuvre de Gauguin : par ses
acquisitions, il entend la préserver et pose les premières pierres de la
réputation posthume de l'artiste. Plusieurs lots ont été jugés
invendables par les autorités locales ; c'est le mobilier et les objets
usuels du peintre qui suscitent l'intérêt, alors que son art ne
rencontre que dérision. Comme le rappelle Gilles Manceron,
la machine à coudre de l'artiste est vendue pour quatre-vingt francs,
alors que l'une de ses toiles ne rapporte que deux francs. Ségalen
raconte que le tableau Village breton sous la neige (dont il fait l'acquisition ) est présenté à l'envers sous le titre Chutes du Niagara, au grand amusement du public."
Charles Forsdick, Gauguin et Ségalen : exotisme, mythe et "esthétique du divers."
L'histoire rocambolesque de ce tableau a suscité le titre du projet : Les chutes du Niagara.
Je ne reviens pas ici en détail sur le déroulement de ce projet. Un petit film réalisé par Pierre-François Lebrun à cette occasion en restitue parfaitement l'esprit et les principes.
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| Le grand BaZH.art #1 - L'atelier Pinard, Pierre-François Lebrun 2016 |
Où se trouve réellement ce paysage ? Où Gauguin l'a-t-il peint ? Cette question est revenue sans cesse dans la bouche des participants à ce projet : Pont-Aven ? Le Pouldu ? Mais cette Bretagne de peinture n'est décidément pas un espace géographique, pas une adresse. Cette Bretagne n'est nulle part, à nul endroit et en nul temps. Elle flotte comme le miroir idéel d'un monde jamais advenu projeté par un artiste et dont le tableau feint de former l'empreinte ; une empreinte dans laquelle chaque dessinateur vient déposer sa main pour vérifier si elle peut s'y mouler. Le paysage a mille visages et sa forme horizontale peut accueillir mille corps. Le paysage est ce genre qui permet d'organiser les rencontres, de structurer le débat, de développer une micropolitique de la surface. Son ouverture, l'approximation de ses distances sont nécessaires aux réglages de celles qui séparent ses prétendants. Il n'y a pas de spectateur solitaire devant un paysage, sinon qu'un spectateur égaré qui a pris de l'avance ou bien du retard sur le peloton. Le paysage est le sujet démocratique par excellence.


