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| Miami vice, 60x50 cm, acrylique sur toile, 2019, © guillaume pinard |
On a récemment attiré mon attention sur le lien que mon travail entretiendrait avec celui d'Edward Hopper. Avant cette interpellation, ce peintre semblait loin de mes préoccupations, si bien que je ne l'avais jamais invité dans mon travail, ni n'avais sérieusement étudié ses motivations.
Hopper appartient à une caste très restreinte de peintres, dont les œuvres sont devenues des clichés populaires, des matrices à cartes postales et à posters. Il a suscité tant de commentaires plus ou moins instruits, qu'il est très difficile de naviguer dans ce brouillard et d'entrer en contact avec son œuvre sans avoir le sentiment de remâcher des banalités.
Mais ce tissu trop repassé m'attire et je veux essayer de traverser ce voile, chercher dans l'œuvre du peintre quelque chose qui me regarde. Je pars avec un avantage : je n'ai jamais fantasmé sur les stations-service américaines, sur les motels, les bars de nuit et les cabarets glauques. Ces décorums m'amusent autant que des bondieuseries saint-sulpiciennes. Je ne les vois pas comme les cadres d'un théâtre social, pas une seconde, mais comme les scènes nécessaires à l'expression d'un moralisme pervers qui maudit le monde dans lequel il s'exprime, comme le décor d'un jeu où Edward Hopper paye pour voir, examine tous les reliefs d'un déclin.
Hopper est un entomologiste. Il ne saisit pas des scènes brutes du quotidien, n'est pas du tout réaliste. Il extrait des figures de leur biotope, comme on piège des insectes pour les replacer au cœur d'un dispositif abstrait, vectorisé, aseptisé. Toutes ses figures semblent représenter une espèce. On ne trouve pas d'individus dans sa peinture, mais des spécimens : la secrétaire, le pompiste, le barman, la strip-teaseuse, la femme seule, etc. Tous les personnages sont renvoyés à des fonctions où il patinent à vide dans des appartements-témoins. Hopper ne veut pas sortir de cette cellule, prendre le large, retrouver du mouvement, parier vraiment sur le syncrétisme culturel qui semble animer sa mélancolie. Il se tient sur le seuil, à la fenêtre, confondant l'espace du dehors avec celui du dedans comme les deux faces d'un même décor impossible à animer. Il est le sceptique, le vigile assidu de l'interminable séparation de l'humain avec un monde dont on ne saura jamais vraiment ce qui l'origine.
Quid de ma relation avec ce paysage intellectuel, avec cette position ? Je suis sur le même quai. Aussi paradoxalement bavard, aussi fragmenté, aussi ambivalent. Comme Michael Mann - dont j'ai cité le film "Miami vice" de 2006 dans un récent tableau (qui a reconnu sa dette à l'égard d'Edward Hopper) - réalisateur témoin des archétypes sociaux, de leur agitation dans les rouages d'un monde toujours plus et mieux automatisé, globalisé, de leur recherche d'une issue dans l'immensité sublime de l'horizon, mais finissent toujours par s'échouer sur le récif du vide existentiel dans lequel leur fonction les porte.
