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Le dieu du style, 2020, acrylique sur toile, 70x70cm, © Guillaume pinard |
"La théorie de la démarche" d'Honoré de Balzac compte parmi les textes qui m'ont profondément marqué. J'ai découvert ce texte à l'adolescence et je lui dois d'avoir dégrossi la juvénilité de ma perception des formes de distinction. Il aura certes fallu plus de lectures et d'expériences pour que j'en tire des conclusions, mais je reste attaché à cette première révélation.
Le style que nous adoptons, notre façon de nous tenir, de bouger, de nous comporter dans la prose de l'existence en dit long sur nos positions. Cette chorégraphie quotidienne révèle toutes les capacités d'un corps à interpréter l'époque. Il révèle aussi ses inerties. En appréhendant la pensée sous la forme d'une danse, d'une pantomime plutôt que sous celle d'un ensemble organisé de contenus, on perçoit mieux le territoire de nos amitiés comme celui de nos haines.
Cet éthos, ce bricolage mondain est la traduction de l'air du temps par un organisme qui le traverse, esquive, adhère, contourne, embrasse, bref interprète les signes de la société qui le bombarde.
Le style distingue radicalement qui veut bien continuer d'en découdre avec l'environnement social et politique qui le concerne : les bons joueurs, qui exècrent la position des éternels vainqueurs, sans pour autant renoncer jamais à se tenir autour de la table des négociations pour y casser l'ambiance et la légitimité des conventions - dussent-ils recourir à la grimace, la comédie, les contorsions exubérantes et supporter les humiliations comme les brimades - contre ceux et celles qui ventriloquent les mots et gestes du moment, persuadés de la légitimité de leurs idées et de leur comportement.
Je dis "légitimité", je devrais dire "bon goût". Combien d'artistes dissimulent la réalité de leur condition et de ses névroses en arborant le costume amidonné des dominants. Leur vie comme leurs œuvres n'ont pas le courage des expériences de la déception, de la mauvaise humeur et de ses modestes remèdes ; ils parlent toujours depuis l'autorité d'un programme. Si l'œuvre d'un artiste est bien un corps en formation, alors il doit pouvoir tout indiquer des manières d'une pensée et de sa plasticité, sans écarter le vertige des nausées comme des joies simples.
On me dit que je flatte le mauvais goût. Je ne doute pas que mon tableau Le dieu du style présenté dans ce post stimulera cette impression. Je connais la filiation, les sources historiques de ce commentaire, mais ce n'est pas mon angle. Le mauvais goût n'est pas une destination, ni un sanctuaire (sauf à flatter une forme patrimoniale digéré par la norme ou faire preuve de cynisme). On n'entre pas dans ces marais par choix, mais bien par réaction. C'est parce que l'on est heurté par l'autorité souvent arbitraire des goûts de son époque et plus encore que l'on a la conscience aigüe d'en être le dépositaire et le porte-parole, qu'il faut inlassablement soumettre son organisme au désordre. Je ne souhaite pas avoir le dernier mot, être le plus malin de l'assistance et non plus me soustraire au grand bain, mais je dois, pour éloigner le risque d'une autorité, d'un règne, affirmer un style qui révèle tous ceux qui me traversent et dont je suis en mesure, là où je suis - déterminé par les limites de ma raison sociale comme de mes moyens - de témoigner.
Je veux me développer dans un système capable de supporter les impuretés et de bouleverser les hiérarchies. Ce n'est pas un relativisme, c'est un effort permanent pour maintenir vivante la métamorphose des valeurs. C'est une activité critique en acte.
