![]() |
Prénom Roman, 2021, acrylique su toile, 40x40 cm, © Guillaume Pinard |
Je me souviens être sorti en colère de cette projection, colère après les réalisateurs, d'avoir pu concevoir un film si loin de tous mes intérêts ; et alors que, rentrant chez moi, j'affute mentalement tous les arguments de ma critique, je vois un jeune homme qui me fait des signes en accélérant le pas dans ma direction. Je continue ma route pour écarter la possibilité d'une mauvaise rencontre, mais nous sommes seuls sur ce qui ressemble à un énorme parvis à la sortie du centre-ville et je réalise que la rencontre va être inévitable. Il est minuit et une conversation s'engage. Il me demande d'abord du feu, je n'en ai pas, de l'argent, pour finir par me menacer de m'agresser - en faisant saillir un objet invisible mais pointu dans sa poche - si je ne lui en donne pas. Je n'ai ni envie de fuir, ni de me battre, je n'ai pas vraiment peur, je suis simplement obsédé par l'idée de retenir les traits de son visage comme un dessinateur en plein travail. Il m'attire vers un distributeur, me fait retirer une somme d'argent sur un compte qui en possède très peu et il disparait. Je rentre chez moi un peu sonné par cette expérience, tout en me concentrant pour retenir son visage. Je m'installe alors sur le bureau fraichement acquis et reprends un travail déjà exécuté la veille. Je réalise son portrait-robot. Après avoir dessiné celui d'un homme virtuel, je me retrouve à dessiner celui de mon propre agresseur. La collision des deux évènements me semble alors vertigineuse. Le lendemain matin, je me rends au poste de Police qui me voit déposer plainte avec une pièce à conviction inhabituelle. Très vite et grâce à mon portrait, les enquêteurs me proposent un ensemble de suspects sur un trombinoscope. Tout d'abord une série de visages qui n'a rien à voir avec mon dessin (je suppose que c'est une stratégie usuelle pour vérifier l'authenticité des témoignages) puis une seconde où je l'identifie formellement. Peu de temps après, le jeune homme qui est donc déjà connu des services de Police et activement recherché pour des braquages de caissières avec un tournevis (c'était donc la nature de l'objet que j'avais vu pointer dans sa poche) est arrêté. Une confrontation est organisée, je confirme que c'est la bonne personne ; ne nourrissant aucune espèce de rancune contre lui, je ne demande pas de réparation, juste le remboursement de la somme dérobée et cette affaire se termine là pour moi.
Placard m’a tuer. Mort d’un rayon de soleil
On peut naître en enfer et mourir en enfer. Avoir dix-huit ans et
se pendre en prison. Même sans le vouloir, simplement parce que c’est
comme ça.
L’histoire de Roman Coelho est d’abord celle de Shwrinivasan, «Rayon de soleil» en Indien. L’enfant est adopté avec sa petite sœur à l’âge de deux ans et demi par la famille Coelho, après avoir été confié par son grand père à une congrégation de sœurs missionnaires. Un départ dans la vie marqué du feu de l’enfer : Shwrinivasan a assisté au meurtre par immolation de sa mère, perpétré par son propre père. Une monstruosité en vigueur dans certaines castes indiennes lorsque la famille maternelle tarde trop à verser la dot.
«Son passé l’a poursuivi toute sa vie, l’a empêché de bien vivre», témoigne aujourd’hui sa mère adoptive. Elle décrit son fils en écorché vif. «Tout petit, Roman avait déjà d’énormes problèmes relationnels, il était incapable de se lier à qui que ce soit. En classe, c’était bêtise sur bêtise, il était insupportable à tout le monde.» À partir de huit ans, il suit une psychothérapie dans un centre pour gamins. À onze ans, il refuse de poursuivre ces soins. Un psychothérapeute dira : «Votre fils relève de la psychiatrie lourde, je ne peux plus rien pour lui.» Avec les premières fugues commencent les premières conneries. Livrée à elle-même face à une adoption en échec, sans conseil extérieur, sans assistance réelle, la famille s’enlise. L’adolescent rejette sa famille d’adoption, rejette la terre entière. «Je ne savais plus quoi faire avec lui, livre sa mère, il ne trouvait plus sa place dans un cadre familial. Il y avait urgence.»
À seize ans, après une scolarité désastreuse, Roman quitte l’école. Il se met à braquer au tournevis des caissières d’hypermarché. Une première fois écroué, il est condamné à sept mois puis placé en unité d’encadrement renforcé à Brest, d’où il s’échappe et disparaît durant six mois. Il finit par se rendre de lui-même à la brigade des mineurs qui le place une dizaine de jours en hôpital psychiatrique.
Contraint de suivre des soins, il multiplie les petits larcins, trafique un peu de shit. Il donne de moins en moins de nouvelles, n’a pas que de bonnes fréquentations. «Il détruisait tout dès que ça allait mieux, confie sa sœur, il y avait trop de souffrance en lui.» En 99, il vole la carte bleue d’un malade du CHU, gagne huit mille francs et dix-sept mois de prison ferme. Il n’a pas encore dix-huit ans et intègre le quartier des mineurs où il va «baigner dans un climat de violence», selon un responsable de l’OIP. Grand, fort, il ne semble pas trop souffrir de sa détention. Mais le 8 septembre le petit homme «fête» sa majorité. Roman obtient de rester quelques temps encore avec les mineurs, pour très peu de temps et rejoint le quartier des détenus adultes. En trois mois, il change plusieurs fois de cellule. À Noël, il écrit à sa mère : «La prison c’est l’enfer...» et note cependant : «À bientôt.»
«Roman n’était pas suicidaire, dit sa sœur, ce n’était pas un suicide, mais un appel. Même à la prison, ils considèrent ça comme ça. Il n’aurait pas fait ça s’il avait su que trois jours avant j’avais pris un parloir.» Quatre jours avant de passer à l’acte, il avait demandé à rencontrer son avocat et le juge des enfants. Tous ceux qui l’ont connu ou simplement approché sont unanimes : «Sa place n’était pas en prison. Elle était dans un circuit médical.» Roman y décédera pourtant entre dix-sept heures trente et dix-huit heures, à un mètre cinquante de son codétenu, un homme de trente-huit ans en fin de peine. Qui n’a rien vu, rien entendu. Il y avait la télé à fond, paraît-il. Pour une fois qu’il y avait un rayon de soleil dans la cellule...


