![]() |
Tchou Tchou 141 R, 2020, acrylique sur toile, 30x40cm, © guillaume pinard |
Dans un des cours que Paul Klee donne à l'école du Bauhaus le 13 février 1922*, il fait la correction d'un exercice donné 7 jours plus tôt. Cet exercice est formulé comme suit :
Exercice-devoir : combinaison de rythmes solides et fluide (rigides et déliés). Rythmes. Le résultat final doit être la composition. On pourra intégrer la tâche donnée lors des exercices précédents. Par exemple, rythmer l'individu solidement, rythmer le structural de façon déliée, ou rythmer l'individu de façon déliée; le structural de façon rigide ou laisser agir deux individus l'un contre l'autre, l'un qui serait délié et l'autre qui serait rigide.
La correction de Klee s'appuie sur les relations entre deux caractères, une droite et un cercle.
(Fig.15, fig. 16, fig.17) Quel type de relation entre les deux caractères avons-nous là ? Le combat de la droite agressive contre le cercle reposant en soi, et la défaite de la droite aussi longtemps qu'elle se trouve dans la zone dangereuse du partenaire. Le combat aux dépens de la droite. La victoire du caractère fluide sur le solide. Un autre type d'expression picturale des relations entre deux hétérogènes nous est enseigné par l'exemple suivant (fig.18 et s.).//
Paul Klee assume l'évocation agressive mais cherche un terrain d'apaisement. Le formalisme au service de la paix.
P. 77 de la droite qui s'accomplit dans l'un des cas par un côté, et
dans l'autre par la division (fig. 24) : le combat est évité par le fait
que la droite s'adapte et s'ajuste au cercle qui devient alors une
ellipse (fig. 25, fig. 26) : et nous avons enfin ici le type
d'accommodation réciproque des deux caractères. Les deux partenaires
adoptent complaisamment//
P.78 une autre forme. Le cercle n'est plus un cercle, la droite n'est plus une droite.
D'autres exemples n'apporteraient rien d'essentiellement nouveau et
je m'en tiendrai donc à ces quelques-uns. Dorénavant je choisirai à
chaque fois selon l'esprit de la composition en devenir l'un ou l'autre
de ces motifs typiques, et j'obtiendrai alors une mise en forme du
combat ou de l'amitié. Le combat peut être mené avec une intensité
variable, l'amitié peut se fonder sur l'accommodement unilatéral ou
réciproque.
Paul Klee étudie la relation formelle entre une ligne et un cercle depuis le combat jusqu'à l'amitié où
toutes les variations de relations sont envisageables. Ainsi cet
exercice apparait comme une méditation sur le couple et ses rapports.
Méditation que Paul Klee achève dans les fig. 25 et 26 par l'inscription
d'un cœur comme forme aboutie d'apaisement !
Je n'ai pas du tout pensé à ce cours de Paul Klee lorsque le 20 juillet 2020, j'ai peint ce petit tableau d'un train. Je l'aurais alors vraisemblablement composé tout à fait autrement. Je n'y ai pas pensé non plus quand Julie Vayssière me l'a emprunté pour son exposition personnelle "le somnambule" à la Maison des arts de Grand Quevilly en septembre 2022.
C'est la copie qu'elle en a fait qui m'a rappelé que j'avais formé la fumée du train par un cordon de cœurs.
Et je revois, à l'horizon de la leçon de Klee, ces cœurs comme l'humeur amicale ou amoureuse d'une architecture mécanique projetée vers l'avenir ; je réalise que ce chant d'amour de la modernité lubrifié par la graisse, piaulant de frottements mécaniques et sifflant ses victoires aux grands vents correspond à ce moment anthropologico-érotique de l'histoire où le corps mou de l'humain a trouvé un exosquelette adéquat où se lover, la puissance d'une capsule pour défier la pression des forces terrestres.

