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Secret mucus, 2021, acrylique sur toile, 80 x 80 cm, © Guillaume Pinard |
Depuis quelques mois, une observation n'a pas de cesse de me préoccuper. Cette observation concerne les grandes toiles orbiculaires tissées par les épeires diadèmes dans mon jardin.
L'épeire diadème (Araneus diadematus) est une espèce d'araignée très commune, mais dont la corpulence (pour la femelle la plus visible) et l'art du tissage ne laissent jamais indifférent.
Ce n'est pourtant ni la beauté de cette araignée, ni la qualité ou la résistance de ses ouvrages qui hantent mon esprit. Je suis plutôt obsédé par une règle d'orientation des toiles que j'ai crû remarquer.
Sur une quinzaine de toiles observée, la totalité était orientée vers l'Est et l'araignée était accrochée sur le côté Ouest. Il a fallu attendre la fin du mois de septembre pour que certaines d'entre-elles s'inclinent vers le Sud. Par contre, aucune toile observée n'a jamais été orientée vers l'Ouest ou vers le Nord. Autrement dit "mes" épeires diadèmes n'exposent jamais leur corps à l'Est ou au Sud.
Je précise que mon jardin - en raison des nombreux points d'accroches disponibles sur 350 mètres carrés - permet toutes les orientations. Du reste, certaines toiles orientée vers l'Est semblaient - où elles se fixaient - demander plus d'efforts pour l'araignée que de choisir un autre angle.
On m'objectera à juste titre que ce constat s'appuie sur une étude trop confidentielle pour définir une règle, qu'il faudrait multiplier les observations dans plusieurs biotopes et sous différentes latitudes avant d'en tirer une solide conclusion. Qu'il me soit tout de même permis ici cette légèreté méthodologique et de tirer encore un peu sur ce fil.
Le 03 décembre 2020, Samuel Zschokke, Stefanie Countryman & Paula E. Cushing publient dans la revue The Science of the Nature un article exposant les conclusions d'une expérience conduite en 2019 avec quatre Trichonephila clavipes, des araignées tisseuses de toiles orbiculaires ; deux d'entre-elles étant embarquées dans la station spatiale internationale et deux autres étant soumises au même protocole expérimental, mais sur la terre.
Cette expérience visait à étudier les déterminations de la gravitation chez cette espèce dans la réalisation de sa toile, sur son orientation et sur sa prédation.
L'étude démontre qu'en l'absence de gravitation, l'araignée utilise la lumière (artificielle en l’occurrence) pour corriger l'architecture de son ouvrage, ses déplacements et sa position à sa surface, révélant l'importance de ce repère sous-estimé jusque-là.
Si comme je l'ai constaté, mes épeires diadèmes orientent majoritairement leur toile vers l'Est avec un petit pourcentage en fin de saison vers le Sud, alors le mouvement apparent du soleil dans le ciel et la durée de son rayonnement sont peut-être notables dans ce parti-pris ; ou possiblement les mouvements de la lune, puisque l'épeire est plus active la nuit que le jour (mais la lune suit grosso modo les mêmes trajectoires).
J'ai aussi envisagé que la direction du vent pouvait jouer un rôle dans l'orientation de ces architectures de soie. Quoique mes épeires tissent systématiquement dans des zones protégées des rafales, adossées à des murs, des barrières ou des haies, on pourrait imaginer que le vent soit néanmoins déterminant. En effet, les insectes volants ont tendance à se déplacer dans le sens du vent ou contre lui. Il se trouve que ma parcelle est dominée par un vent de Sud-ouest et qu'aucune des toiles observées n'a privilégiée cet axe.
C'est la raison pour laquelle j'ai choisi ce tableau Secret mucus comme illustration de ce post.
J'aime l'idée que le peintre ou son amateur soit toujours placé du mauvais côté du plan, y imprime sa silhouette, ignore la glu à la surface d'une image qui l'attire dans son espace, soit du côté de la proie plutôt que du prédateur.
Cette nouvelle lubie pour l'orientation des toiles d'araignées comme des œuvres réveille une sensation éprouvée pendant la réalisation du dessin mural Pierre plusieurs fois évoqué dans ce blog, mais dont j'espère pouvoir avec cette dernière remarque solder tout à fait le crédit.
Lorsque l'on fait un très grand dessin mural, on ne peut pas être à la fois sur le dessin et à distance pour contrôler l'ensemble, si bien que l'on a l'impression d'avoir toujours l'original dans le dos qui s'avance vers nous à mesure que le dessin se précise (peut-être un effet du cortex visuel qui se trouve à l'arrière du crâne). Il arrive même un moment où ce sentiment devient si fort que l'idée d'être écrasé entre les deux images oblige à interrompre le travail.
J'arrive à la fin de ce post et je concède que toutes ces tergiversations ne démontrent strictement rien. Elles n'ont finalement pour objet que de poser une boussole dans mon tableau Secret mucus et d'envisager d'en poser d'autres dans les prochains, de mieux pointer la direction du vent, de la lune et du soleil, de poursuivre un travail qui baigne dans tous ces éléments sans parvenir encore à les représenter correctement, de continuer d'étudier la logique des milieux plutôt que de me focaliser sur la seule forme des espèces, la seule forme des tableaux, une logique des milieux et de la discrétion des relations qui s'y établissent sans l'observation desquelles aucun récit ne pourra germer.





