mercredi 9 juin 2021

L'esclave de Blanche-Neige

L'esclave du mioir, 2021, acrylique sur toile, 41x33 cm, © Guillaume Pinard

Il arrive souvent qu'un ensemble de notes appelle une idée de peinture, plus rarement qu'une peinture soit réalisée pour illustrer un texte. C'est le cas de celle-ci. Elle vient compléter une réflexion sur le dessin animé Banche-Neige réalisé en 1937 par Walt Disney.

Je sais tous les actes et toutes les représentations sexistes que comporte ce film. Ils ont été largement commentés, ils crèvent l'écran, mais ce n'est pas l'objet de mon commentaire. Je propose un autre angle.

Je parle ici de l'usage des miroirs dans ce film et de la place non moins problématique à laquelle il nous condamne. Ma lecture s'appuie essentiellement sur la première séquence que je dois d'abord décrire.

Le premier plan nous fait zoomer sur un château médiéval planté au bord d'une rivière (cette architecture est directement inspirée de L'Alcazar de Ségovie en Espagne). Puis, par un fondu enchainé, un nouveau zoom s'approche de la tour centrale et cadre une fenêtre. Le fondu suivant nous conduit au-delà de cette ouverture, dans les appartements de la reine que l'on surprend de dos, monter un escalier et s'approcher d'un miroir dans lequel elle se reflète. Elle invoque alors l'esclave du miroir magique en lui demandant de la rejoindre depuis l'espace le plus éloigné en traversant les vents et les ténèbres. 

L'ouverture de cette séquence nous fait ainsi passer du royaume au château, puis du château au siège du pouvoir, de ce siège à la reine et enfin de la reine au miroir. Le miroir est le mur du fond, la limite au-delà de laquelle la caméra ne peut plus avancer, la limite qui oblige la reine à convoquer l'esclave de l'autre côté du tain (comme d'un parloir), à venir la rejoindre depuis l'espace le plus lointain. La reine exige donc  un autre travelling impossible à représenter, nous laissant imaginer l'esclave faire un mouvement tout symétrique au nôtre. Un parallèle qui implique que nous soyons l'exact reflet de l'esclave du miroir, de ce masque infernal. D'ailleurs, quand le masque apparait, la reine n'est plus représentée dans son axe, face à lui, mais c'est bien nous, spectateurs que le masque regarde.

Après que l'esclave ait dit à la reine que sa beauté avait été finalement surpassée par celle de Blanche-Neige, le plan suivant nous propulse au bas des escaliers du Château où l'on découvre la princesse à la tâche, briquant la première marche, au plus bas, en haillons et étendue au sol. Elle est bien cette autre esclave martyrisée par la reine, celle à laquelle la première séquence nous a identifiés. Blanche-Neige et nous sommes les mêmes reflets antagoniques de l'esclave du miroir.

Blanche-Neige se dirige alors vers un puits, confiant à des colombes qui l'accompagnent le pouvoir magique dont ce dernier est doté. Si l'on prononce un vœu dans son fût et que l'écho nous revient, le vœu sera exhaussé. Nouvelle scène de miroir où la princesse se reflète dans l'eau pure d'une source en chantant et désirant qu'un amoureux la rejoigne. Bon présage, sa chanson est doublée par l'écho et sitôt, un prince attiré par la voix carillonnante de Blanche-Neige la rejoint pour conclure la chanson avec elle.

Ainsi, si le miroir de la reine est habité par un juge intraitable qui prononce la loi sans ménager les aspirations de sa maîtresse, celui de Blanche-Neige renvoie l'expression de ses désirs sans délais. Le jugement autoritaire du miroir magique et maléfique s'oppose à la complaisance du miroir angélique. Dans un cas comme dans l'autre, le miroir n'offre aucune réflexivité. La supériorité de la beauté de Blanche-Neige parait indiscutable et l'écho de son désir performatif.

Où la reine s'accomplit dans les ténèbres et les forces brutes, au milieu des rats et des toiles d'araignée, dans le reflet d'un miroir satanique qui impose son pouvoir autoritaire par le visage d'un esclave, Blanche-Neige, esclave de la reine impose partout où elle passe la clarté et la propreté en mirant son visage de réprouvé dans une eau claire qui lessive toutes les contradictions.  

Ainsi, la quête de Blanche-Neige consistera durant tout le film à nettoyer la crasse et la noirceur du royaume au milieu d'adultes infantilisés. Elle nous prendra à témoin de son nettoyage en profondeur, imposant notre mission et le cadre de notre désir : l'hygiène, la propreté et la juvénilité comme conditions indispensables à la réalisation de notre bonheur. 

À la fin du film, une fois sortie de son sommeil, grâce au baiser du prince, elle nous lâchera pour retrouver son château maintenant nimbé d'une atmosphère divine, immaculé.

Le film terminé, nous retournerons vivre aux côtés des faons, des oisillons et des lapereaux, chez les sept nains, poursuivre le grand décapage et travailler à l'éclat de son règne dans une mine de diamants. D'esclave de la méchante reine, nous nous réjouirons alors d'être devenus les esclaves immatures de Blanche-Neige, sans jamais avoir la possibilité de vérifier ce que reflète à présent l'eau de la source ou le miroir magique.

Bébé pépé

Bébé pépé, 2023, Acrylique sur toile, 40x30, ©guillaume pinard À plusieurs reprises, il m'est arrivé de prendre des poupées comme modèle...