dimanche 15 janvier 2023

L'horizon des collemboles

La rencontre du sage Crâne d'œuf aux confins de la Raccoon academy, 2020, acrylique sur toile, 80x80 cm, © guillaume Pinard

"Aux confins de la Raccoon Academy, sur le Mont Tétatilotélatou, la Daronne est allée interroger Crâne d'œuf sur le sort du monde. Après avoir gratté une allumette, le sage a alors éructé d'incompréhensibles borborygmes, avant de nous prier de le laisser dormir. Nous voilà bien avancé..." 

Voilà la courte description que j'avais faite de ce tableau lorsqu'il s'était agi de le poster sur Instagram le 14 décembre 2020. 

S'inscrivant dans une série de tableaux qui tricottent la fiction d'une académie alternative : la Raccoon Academy, cet épisode présente la daronne accompagnée d'un.e de ses étudiant.e.s au sommet d'une montagne, venue chercher la vérité auprès d'un sage en forme de cacahuète que l'on suppose détenir tous les secrets du monde.

Escalader une montagne, se rapprocher du ciel comme de la connaissance et du divin pour rencontrer un grand esprit en espérant lui arracher les vérités de l'univers est un stéréotype. La montagne sacrée, comme refuge des sages et des divinités est un motif qui appartient à de nombreuses cultures (mont Sinaï, Olympe. Fuji, Wutai, Meru, etc...). La montagne est le lieu où le ciel se penche sur la terre, les dieux sur les humains pour les regarder et leur parler. Territoire du sublime par excellence, la dimension géologique de la montagne inspire naturellement l’émerveillement et la crainte, le merveilleux et le divin. 

C'est cet imaginaire qui a prévalu à la représentation de cette scène ; et la réponse énigmatique du sage Crâne d'œuf n'échappe pas non plus au folklore des retours énigmatiques prononcés par des êtres supérieurs en sagesse à des questions qui s'expriment trop simplement. L'allumette craquée n'est-elle pas le signe de la vanité de toute chose devant l'esprit immortelle de la montagne que Crâne d’œuf s'emploie à ventriloquer ? Mystère.

Cette peinture suscite toujours mon intérêt, néanmoins, en raison des longues heures passées dans mon jardin à observer les arthropodes depuis que je l'ai peinte, je ne peux plus la regarder sans me poser les questions quotidiennes qui poussent ma curiosité à écarter des herbes ou à fouiller dans des massifs de mousse pour découvrir la faune qui y réside ; et singulièrement une classe d'arthropodes apparue à la fin de l'automne, alors que j'imaginais (comme tout le monde) que mon jardin allait entrer dans une longue et intégrale somnolence. 

Le 11 décembre dernier à 14h40, je photographiai un collembole sur un sol glacé. Cette découverte me fit sitôt entreprendre une recherche passionnée sur ce groupe d'hexapodes.

Isotomurus maculatus, © guillaume pinard

 

Ces représentants de la mésofaune sont présents sur la terre depuis 400 millions d'années. On les trouve sur tous les continents et dans tous les milieux, du désert à l'arctique en passant par les tropiques, de l'intertidale à la canopée et jusqu'à 6000 mètres d'altitude, mais surtout sur et dans le sol où ils broutent le mycélium. (Plutomurus ortobalaganensis détient même le record de l'habitat le plus profond pour un animal terrestre. Il a été retrouvé dans le gouffre de Krubera-Voronja en Géorgie à 1980 mètres sous terre). 

Bref, ils sont partout et dans des quantités astronomiques et il aura fallu 51 ans avant que je considère leur existence.

Pour dire quoi ? Plutôt que de réveiller Crâne d'œuf, il m'apparait désormais que la Daronne aurait mieux fait de sortir la loupe et de se mettre à quatre pattes pour interroger la verdure. Elle y aurait sans aucun doute entendu la voix des collemboles, ces grands ancêtres qui ont traversé 4 extinctions de masse et en savent long sur tous les tremblements de la planète. Ainsi ai-je la tentation de corriger mon tableau comme un maître d'école corrige une copie en encourageant l'élève à trouver d'autres modèles pour répondre à ses questions, à entretenir son goût pour la fiction, mais en fixant la ligne d'un nouvel horizon.

Bébé pépé

Bébé pépé, 2023, Acrylique sur toile, 40x30, ©guillaume pinard À plusieurs reprises, il m'est arrivé de prendre des poupées comme modèle...