vendredi 7 décembre 2018

Amour

Clodomir et Marguerite, 65x54 cm, acrylique sur toile, 2018, collection privée © guillaume pinard

 L'amour est la récompense pour celui qui désirant voir a vu.

mercredi 5 décembre 2018

Une image d'occasion

Étienne, dessin mural au fusain 300x300 cm, vue de l'exposition Héri[T]ages à l'Ar[T]senal, Dreux, 2018, © Stéphane Auvard

Quelques semaines après que l'exposition Héri[T]ages à l'Ar[T]senal de Dreux à laquelle je participais ait commencée, j'ai découvert une association d'images sur Facebook relative à un de mes dessins qui a parfaitement concrétisée une idée que je m'étais déjà formulé sur ce travail sans jamais la présenter clairement.

Comme pour les précédentes reprises d'œuvres anciennes au fusain, mon choix a été le résultat d'une prospection dans le patrimoine culturel de la ville de Dreux, mais pour la première fois, je me suis arrêté sur un volume plutôt qu'un plan. Pour la première fois aussi, l'auteur de cette œuvre était anonyme. Je dois avouer que je me suis laissé influencer par Lucile Hitier, la directrice de l'Ar[T]senal qui n'avait pas caché son intérêt pour l'art religieux et s'était étonnée que je n'aie pas dessiné de sculpture auparavant. Sans me sentir obligé par les allusions ou commentaires de mes hôtes, je tiens désormais ces éléments comme des informations nécessaires à traiter dans le lot des critères qui m'aident à trouver un candidat pour ce travail. En minimisant mon autorité dans la décision, cette expérience a confirmé que c'est bien la réduction des critères personnels qui rend l'apparition du dessin absolument nécessaire. L'abandon de certaines règles que je croyais être conditionnelles à l'exercice de cette pratique désormais bien réglée a aussi apporté de l'air dans la machine.

Le 1er juin 2018, Stéphane Auvard, qui conduisait des visites dans l'exposition a donc posté sur son compte Facebook un montage de deux images qui a retenu mon attention.

Capture d'écran d'une double image posté par Stéphane Auvard sur son compte Facebook le 1er juin 2018, © Stéphane Auvard

Si j'avais vu le chapiteau sur pièce au musée d'art et d'histoire de Dreux, c'est à partir d'une image trouvée sur internet que je l'avais conçu. Stéphane Auvard a fait le travail inverse. Il a associé le dessin à une photographie différente de ma source, mais dont le point de vue est identique. Son montage semble indiquer que l'image du chapiteau original est seconde, comme un mouvement de vérification sur pièce obligeant le spectateur à orienter son regard. Ce mouvement indique exactement ce que je cherche à induire. Je souhaite que mes dessins soient des " images premières ". Je veux inverser le rapport entre une réalité et sa représentation. Ou plus exactement - comme je l'ai déjà signalé dans ce blog - je veux obliger à voir une réalité depuis le point de vue d'une image de cette réalité. C'est la magie du plan. À condition que cette apparition occasionnelle (qui se manifeste selon une chaîne d'évènements aléatoires et contingents) soit temporaire et ne se transforme pas en monument, qu'elle ne redouble pas la pérennité de l'objet, son déploiement inaugure une visibilité et formule sa promesse.

Sans être aussi fugace qu'un coup d'œil, la représentation doit s'avérer dans cette intensité. Elle doit être précaire.

C'est ce qui m'avait fasciné dans cette empreinte retrouvée sur le dessin Pierre évoqué dans un post précédent.
Un spectateur tourne le dos à l'image, dépose la trace de son passage et détruit le dessin au moment même où il regarde dans la bonne direction. Magnifique raccourci.

Trace sur le dessin Pierre, 2013, © Guillaume Pinard

lundi 26 novembre 2018

Déjà-vu

Autoportrait en Chose, 30x30 cm, acrylique sur toile, 2018, © guillaume pinard

Le 16 novembre 2018, à 23h45, j'ai posté sur mon compte Facebook, l'annonce d'une conférence que j'allai donner à la bibliothèque de la Part-Dieu dans la ville de Lyon quelques jours plus tard. Le 17 novembre, à 3h48, un ami a commenté " Fait une petite minute de silence pour Stan Lee avant de commencer la conf ". À 12h59, j'ai répondu " J'ai prévu de me transformer en Chose dans le premier quart d'heure, je pense que l'auditoire reconnaîtra l'hommage ". Le 18 novembre, j'ai posté ce tableau.

J'ai donc pris mon idée au sérieux. J'ai peint mon portrait, puis je l'ai progressivement métamorphosé dans la forme du mutant : la Chose. 

Contrairement à ses trois acolytes - avec lesquels il constitue le groupe des 4 Fantastiques - Benjamin Grimm a la particularité de ne pas maîtriser sa transformation. Son identité est définitivement ensevelie sous la pierre. C'est sa tragédie. Il a perdu son visage.

Comme lui, sous la couche de peinture, mon portrait demeure caché. En le peignant, j'ai réalisé que mon portrait d'adulte s'était fait recouvrir par une image de mon enfance, que cette image ancienne, ce visage de pierre, cette chose m'enveloppait. Ma Chose sourit. L'horreur de Benjamin Grimm n'est pas la mienne. Mon masque n'est pas une prison, mais un appareil de vision, de pré-vision.

Dire que la peinture est un lieu de transformation, de métamorphose n'est pas suffisant. Il faut ajouter que ce mouvement doit se formuler comme une promesse. Il doit conjuguer les temps. La nouveauté doit être enveloppée dans une image ancienne : un déjà-vu. C'est à ce prix que l'image peut être inaugurée, pensée.

Dans les peintures qui me retiennent, les figures donnent toujours le sentiment de venir de très loin et cependant d'avoir déjà une place en moi lorsque je les rencontre, comme si j'étais leur contre-forme, un recueil où peut se dévoiler la clameur inédite de leur présage.

Peut-être est-ce la raison pour laquelle j'aime voir l'image de la peinture avant l'original. L'image doit précéder sa matrice et la recouvrir au moment du contact pour révéler la matière de sa prédestination.

jeudi 12 juillet 2018

Une classification ne fait pas un monde

Le contrat, 50x61 cm, acrylique sur toile, 2018, collection privée © guillaume pinard

Si je devais désigner un livre qui a structuré mon esprit et mon imaginaire, ce serait le dictionnaire et en premier lieu le petit Larousse illustré.

Mes connaissances et mon rapport au monde ont été entièrement conditionnés par les dictionnaires. J'ai pris cette représentation du monde très au sérieux. Durant toute mon enfance, il m'a semblé que ce système coïncidait parfaitement avec le monde lui-même, au point que la réalité semblait en sortir pour l'animer et le donner en exemple. Mais un jour, j'ai découvert que certains mots ne s'y trouvaient pas. Le trouble a commencé avec les mots. Les images et leurs approximations ont suivi de très prêt. Et la consistance du monde, son organisation, celle par laquelle je le regardais s'est peu à peu fissurée, déstructurée, insinuant un rapport biaisé au langage. Je ne me suis plus intéressé qu'au masque de la langue, à sa grimace. Ce syndrome a longtemps impliqué pour moi deux conséquences possibles :

La première : continuer d’errer dans la langue pour constater que cette machine qui a l’ambition d’embrasser toute la réalité du monde expose mieux le vide qui sépare ses termes, que la pertinence de ses définitions. Aussi, puisque le cœur du monde y apparaît comme majoritairement vide, toute quête de sens s'y éprouve comme une traversée du désert ; une traversée où le langage est condamné à jouer le rôle d'un voile pudique sur l’obscénité de la séparation.
Dans cette version du langage, on enfile les termes comme un touriste enfile les capitales. On n'y cherche pas l'expérience, mais la vérification, la coïncidence entre une classification et son terrain. On ne saisit rien, même si la séquence - en trompe l’œil - donne l'impression de dérouler un récit.

La seconde : faire le deuil du monde et choisir de combiner indéfiniment et aléatoirement les termes pour former et déformer un récit mondain possible - à l’épreuve du récit de tous les autres qui manipulent les mêmes cartes - dans l’espoir de s’y inventer un corps. Une seconde hypothèse où des scénarios se succèdent sans hiérarchie, comme les combinaisons d'un jeu de hasard. Cette voie implique un espace de signification intensif où la simultanéité et la réversibilité des termes est sans cesse maintenue pour éviter la crampe. C'est un projet qui consiste à varier pour écumer. Au bout de ce chemin, on ne trouve plus que des exceptions et plus aucun moyen d'élaborer ses relations.

Ces deux voies sont également désespérantes. Hors sol.

Cette peinture désigne ce trouble. Elle montre la démesure d'un chant qui exige que l'humain quitte son bureau et participe à une nouvelle économie des signes.

mardi 29 mai 2018

Comment se faire des amis lorsque l'on est un fantôme ?

Casper, 19 x 24 cm, acrylique sur toile, 2016, collection du Frac Bretagne © guillaume pinard
 
Invité à faire une conférence aux Beaux-Arts de Nantes le 19 février 2018, j'ai découvert que l'école avait choisi un tableau inattendu pour illustrer l'annonce de mon intervention sur leur site : le visage d'un fantôme daté de 2016.


Ce tableau appartient au nombre de ceux que j'ai réalisé sans idée préparatoire. Il est aussi de ceux qui ont été faits en quelques minutes. Le fantôme s'est immédiatement imposé à moi et je l'ai très spontanément baptisé Casper. Bien que cette apparition m'avait plu, en raison de la facilité de sa réalisation et de la modestie de son résultat, j'ai oublié ma peinture presque aussi vite que je l'avais faite. 
C'est peut-être pourquoi son retour en tête d'une conférence que je devais donner au sujet de mon travail m'a alerté. J'aurais pu me contenter de juger ce choix malheureux ou inopportun et ignorer ce signe, mais j'ai voulu croire qu'il y avait une pertinence à ce que quelqu'un décide de projeter cette image sur mon travail et ce que je pourrai en dire.
Lorsque j'ai peint ce tableau, je n'avais qu'une connaissance très superficielle du personnage de fiction Casper et c'est seulement parce que j'ai cru le reconnaître sous mes pinceaux que je l'ai signalé.
C'est donc à l'occasion de cette conférence que j'ai cherché à en savoir plus.

Ce personnage a été créé à la fin des années 30 par le scénariste Seymour Reit et le dessinateur Joe Oriolo pour un livre de contes pour enfants qui devait sortir en 1939. Ce projet n'ayant pas rencontré l'adhésion de l'éditeur, Joe Oriolo profita du départ de Seymour Reit au service militaire pour vendre les droits de leur création à la section animation de la Paramount. Il faudra attendre 1945 pour que Casper le gentil fantôme devienne le héros d'un cours métrage d'animation destiné au cinéma : The Friendly Ghost. Deux autres suivront en 1948 et 1949. C'est à partir de 1950 que Casper fera des apparitions régulières au cinéma et à partir de 1960 qu'une série sera conçue pour la télévision.

Au générique de ce court-métrage, on retrouve l'animateur et auteur Otto Messmer en co-scénariste du film. Otto Messmer n'est rien de moins que le créateur de Felix the cat. J'avais déjà croisé le chemin de ce créateur pour avoir réalisé un film d'animation adapté d'un épisode de Felix le chat. C'était en 2010, mon film s'intitulait Avril et il s'inspirait directement de April maze (1930). Ce film donna lieu à une exposition personnelle dans le lieu Le Portique au Havre intitulée OTTO dans le cadre d'une biennale qui présentait des artistes inspirés par l'univers de la bande dessinée.

Mais revenons à notre sujet. Casper est le fantôme d'un enfant à l'accent new-yorkais qui habite une maison abandonnée et hantée par un groupe de fantômes adultes qui se plaisent à terroriser les habitants de la ville voisine. On est d'ailleurs frappé de constater qu'au sortir de la seconde guerre mondiale, ces fantômes se déplacent comme des avions de guerre en escadrille et qu'ils fondent sur la ville en kamikazes pour traverser leur cible. Casper, quant à lui ne veut pas faire peur. Il est navré par l'esprit belliqueux de ses condisciples et n'aspire qu'à se faire des amis. L'entreprise se révèlera périlleuse dans un monde où les fantômes inspirent la terreur. C'est le drame et la question de Casper, une question qui deviendra le motif récurant de ses aventures : comment se faire des amis lorsque l'on est un fantôme ?

 
Il aura fallu l'apparition de mon Casper sur le site de l'École des Beaux-Arts de Nantes pour formuler nettement que cette question était aussi la mienne.
Je tourne autour de ce pot depuis presque 10 ans et si cette question n'a pas la force d'une révélation dans mon parcours, elle remet quelques morceaux éparses en ordre et projette leur mouvement dans la bonne direction. Elle indique surtout un point de vue plus opérant. Je veux essayer ici de faire une rapide chronologie de la construction de cette question.

En 2010, j'ai été invité à participer à l'exposition collective Fantasmagoria au Musée des Abattoirs à Toulouse. Je crois que Pascal Pique, le commissaire, pensait alors que j'orienterai ma proposition dans le sens des films d'animation que je réalisais jusque-là, des films dont il avait d'ailleurs déjà présenté une sélection (le cycle Tetraphobie) dans ce même musée en 2006 et dont le caractère fantasmagorique laissait peu de doutes. Mais la flamme qui motivait ce travail s'était éteinte depuis quelques mois et je voulais aborder le problème par une autre voie.

Ce désir a été accéléré par un évènement tragique. Une adolescente de ma famille est morte dans un accident de voiture durant ma période de réflexion. Elle se prénommait Fanny. Durant les semaines qui ont suivit sa mort, elle est venue me visiter en rêve à plusieurs reprises et il est devenu évident que ma participation à cette exposition devait formuler une réponse à cette interpellation. Une salle du musée m'était consacrée. J'ai réalisé un dessin mural au fusain qui représentait un grand rideau. Ce rideau entourait la salle, si bien que nous entrions dans la pièce comme sur une scène. Je n'avais conservé que l'éclairage de service et il fallait quelques minutes pour s'acclimater à cette faible luminosité et voir les plis se dessiner sur la matière veloutée du fusain déposé à fleur de mur. J'ai tout de suite su que ce dessin ne devait pas être fixé, que cette chapelle provisoire (le motif de la draperie était inspiré du trompe l’œil qui habille la base de la chapelle Sixtine) devait manifester la consistance d'une membrane sensible. J'ai senti ce décor comme un écrin pour accueillir l'esprit de la chère disparue, autant qu'une surface où son visage pouvait apparaître dans la complexité des plis que formaient les arabesques de ce grand drapé. Je l'ai conçu comme un observatoire, une zone de contact. J'ajoute que les 12 jours que j'ai passés pour étaler et former le charbon sur les murs de mon espace d'exposition s'est avérée être une période vertigineuse durant laquelle j'ai oscillé entre les deux faces de la surface. Jamais je n'ai crû vraiment pouvoir basculer de l'autre côté, mais j'ai senti le pouvoir de tenter les profondeurs à affleurer et me toucher la main. L'étrangeté technique de ce rideau a attiré la curiosité tactile des visiteurs. Ils ont laissés des traces. Ainsi, pendant toute la durée de l'exposition, j'ai offert cette surface vivante à Fanny pour qu'un lieu continue à vibrer entre elle et les vivants. Lorsque le dessin a été effacé, j'ai compris l'importance de refermer la porte. Pas de monument. Pas de mausolée. L'apparition de cette surface, sa fragilité de consistance ne devait pas concourir non plus à la ruine. Le dialogue avait pu continuer, mais il fallait l'interrompre avant l'usure et lui proposer une métamorphose pour se renouveler.

Cette expérience a eu des conséquences déterminantes sur la suite de mon travail. De nombreux dessins muraux ont suivi. Et, s'il n'était plus question de garder le contact avec Fanny, ce mouvement a néanmoins consisté à maintenir une porte entrebâillée entre deux mondes.
Rideau !, 350 x 3600 cm, dessin mural au fusain, Vue de l'exposition , Les Abattoirs, Toulouse. 2010, © guillaume pinard
 
Je me suis engagé dans un travail de reprises d'œuvres déjà validée par l'histoire, d'œuvres conservées dans des musées. J'ai souvent évoqué les pratiques amateurs et la critique du poids de la médiation culturelle pour justifier ce travail. C'est en partie vrai, mais aujourd'hui ces arguments apparaissent comme un voile acceptable sur une expérience qui tenait en partie de l'irrationnel et à sur laquelle je ne parvenais pas à mettre de mots.

C'est généralement le contexte dans lequel j'ai eu à faire apparaître ces dessins qui a suscité mes choix. J'ai tout de suite abordé cette hypothèse comme un travail de pistage. Cette rencontre était toujours le fruit d'une enquête de terrain, mais aussi une errance dans des bases de données sur internet. Je n'avais pas d'œuvre ou d'artiste en tête a priori, un casting de mes œuvres ou artistes chéris dans lesquelles j'aurais pris plaisir à piocher pour leur rendre hommage. Le mot hommage n'a d'ailleurs jamais appartenu à mon vocabulaire. Ma recherche relevait du vivant. Je cherchais comme un détective sur les lieux du crime les indices qui me conduiraient vers un " visage ". Très vite, j'ai laissé libre court au hasard, à l'intuition. Les conditions d'exposition, les demandes, le temps d'installation possible, la ville ou la région dans lesquels j'intervenais étaient autant de critères pour modifier mon angle de recherche, pour traquer l'œuvre et finalement être surpris par l'objet de ma rencontre. La rencontre et son incongruité se sont immédiatement imposés comme les motifs de cette quête. Cette méthode a produit des coïncidences troublantes, des sortes de hasards objectifs que j'ai décidé de prendre comme la validation finale de choix que je percevais comme arbitraires. La validation surtout que quelque chose se passait, que quelque chose passait.

Pour exemple, en 2013, j'ai été invité par Anne Dary dans l'exposition collective qui signait son arrivée à la direction de ce musée. Je cite souvent cette expérience, car elle est exemplaire de toutes les questions que j'ai croisé au cours de ces reprises.
Il faut d'abord que j'indique qu'il s'agissait d'une commande : reprendre une œuvre de la collection du musée. Je ne suis pas rétif à cette contrainte à condition que je garde toute liberté pour choisir l'œuvre en question. Cette invitation avait pour particularité de me faire travailler sur la collection d'un musée qui se trouve à côté de chez moi. J'ai commencé à revoir la collection permanente dans le détail. Un passage en revue attentionné. Ces visites signifient pour moi : attendre que quelque chose d'inattendu se produise. Il faut qu'un tableau me formule une énigme : sa composition, sa date, son sujet. Les musées sont pleins d'histoires et d'anecdotes propres à stimuler l'imaginaire et l'enquête, mais je ne puise pas dans ces ressources. Il faut que l'étrangeté passe par un contact direct. Que l'œuvre se désigne spontanément comme candidate. Il arrive quelques fois que plusieurs œuvres se manifestent, mais c'est généralement parce que la bonne n'est pas encore dans le jeu. Lorsque je trouve le tableau ad-hoc, il devient évident pour moi que je ne peux pas en choisir un autre. Je l'ai déjà dit, mais la technique que j'utilise, le fusain et le format dans lequel je vais réaliser le dessin, comme le temps dont je dispose pour le réaliser sont des filtres objectifs pour exhausser mon choix. Les contraintes sont précisément les attributs nécessaires, le dispositif par lequel une image est appelée plutôt qu'une autre. Dans ce cas, je n'ai pas trouvé ma candidate dans la collection permanente, pas plus que dans les réserves du musée, mais sur la base de donnée Joconde qui répertorie l'ensemble de la collection des musées. Cette cascade de fruits baroques a fini par cristalliser mon attention. Ce tableau s'intitule Les dons de l’automne. Il a été peint par Pierre Bourgogne en 1884. Lorsque j'ai soumis mon choix à Anne Dary et l'équipe du musée, tout le monde en a été étonné. Personne ne se souvenait que le tableau appartenait à la collection. Ce tableau n'ayant pas été récolé depuis de nombreuses années, aucun conservateur ne se souvenait de son existence. Le tableau était en dépôt à la préfecture de longue date, il était donc devenu impossible que sa présence le rappelle au souvenir de l'équipe.
Pierre, 610 x 1300 cm. dessin mural au fusain, 2013
Vue de l'exposition "Des inconnus dans la maison", Musée des Beaux-Arts de Rennes.
Au premier plan : John Cornu : Sans titre (Fleury-Mérogis), 2012. À droite : Lilian Bourgeat : Pupitres, 2011.
 
L'exposition d'Anne Dary s'intitulait Les inconnus dans la maison. Ce titre, emprunté à un roman de Georges Simenon, indiquait l'absence d'art contemporain dans les murs du musée et le désir de sa nouvelle directrice de corriger cette impasse. Le fait que ma participation présente une autre forme d'inconnu métamorphosait clairement mon choix pifométrique en décision pertinente. Non seulement ce tableau avait disparu des radars du musée, mais Pierre Bourgogne avait laissé peu de trace de son activité. Au moment où j'ai fait ce dessin, on trouvait très peu d'informations sur cet artiste. 

La réalisation de ce dessin s'est avérée épique. Si j'avais déjà fait plus long (cf. Rideau !), je n'avais jamais fait si haut. J'ai découvert à cette occasion que j'avais le vertige. Il a fallu quelques jours et le désir ardent de ne pas abandonner ce projet pour décider de monter sur le dernier plateau de l'échafaudage. Je peux dire que j'ai réalisé toute la partie haute de ce dessin avec la peur au ventre. Jamais la sensation que j'évoquais plus haut d'être menacé de tomber dans le dessin n'a été aussi concrète. 

Reproduire un tableau à cette échelle implique d'autres sentiments. Le premier d'entre eux est celui de bouger sous les doigts d'un autre artiste, de produire une danse mimétique qui vous fait explorer physiquement un plan sous une forme inédite. C'est aussi un moyen (connu par tous ceux qui reproduisent des œuvres) de voir des détails du tableau qui étaient restés invisibles à la première lecture. Dans ce cas, j'ai découvert le banc sur lequel se tenait l'amas de fruits, de fleurs et d'animaux. Ce n'est qu'aux pieds du mur que cet objet m'est apparu clairement. Il était fondu dans la masse. 

Lorsque l'on travaille sur un dessin de cette taille, on ne voit pas ce que l'on dessine. Il faut faire d'interminables allers-retours pour vérifier le travail. Cette situation donne l'impression que l'image que l'on reproduit est suspendue comme un grand écran derrière vous, qu'elle vous surveille et s'approche lentement au fur et à mesure que vous la formez ; jusqu'à se coller sur le mur au risque de vous écraser à sa surface au moment du contact. C'est pourquoi il faut toujours réserver une distance de secours pour ne pas prendre ce risque. La meilleure solution est de maintenir un léger chaos dans la représentation. Autrement dit, si le dessin doit " faire image " à une certaine distance, cette image doit se défaire lorsqu'on s'en approche, afin de révéler la seule matérialité du dessin.

J'ajoute que je travaille toujours à partir d'une image du tableau de faible qualité, une image prise sur internet. Au musée, je pouvais obtenir une reproduction en bonne résolution, mais j'avais déjà pu constater que l'effort d'interprétation qu'oblige une source "incomplète" permet de maintenir la vigilance et l'inventivité dans la réalisation du dessin. Ce n'est pas une autopsie. Il ne s'agit pas de reproduire, mais de repriser. Le dessin doit porter cet effort de reconstitution. La copie servile et mécanique n'a aucun sens. De plus, si j'essaye de me glisser sous la main de l'artiste pour suivre sa logique et animer ses gestes, je n'imite pas son style. La génétique du dessin porte bien mes chromosomes. Je ne veux pas détourner le moment de la conversation et mes mots sont les mêmes avec Rubens, Bellini ou Corot

Le dessin rend compte de cette correspondance. Pour m'être - par des voies souvent tortueuses - senti le dépositaire d'une adresse, je me trouve dans l'obligation de devoir répondre. À ce titre, toutes les œuvres sont toujours déjà " poste restante ", en attente de quelqu'un pour s'en saisir, pour les faire parler, ou plus précisément pour les aider à continuer de parler. Aussi, la discrétion historique de Pierre Bourgogne ne doit pas masquer cet état par lequel les musées, aussi vivants soient-ils, sont quand même des cimetières cadenassés par un historicisme qui tient mieux de l'habitude que du travail scientifique. Dans ces organismes patrimoniaux où la conservation et ses modalités n'est pas un débat, il est difficile de faire émerger une voix humaine. Ainsi, mon travail n'a rien de conservateur, il essaye de remettre de l'énergie, de la souplesse dans un corps qui n'en a plus. Il ne restaure pas, il ne conserve pas, il incorpore et contamine.

Sans doute, est-ce la raison pour laquelle le titre de ces dessin indique toujours le prénom de l'auteur original. Pierre dans le cas présent. Pour signaler cette proximité qui trouve sa logique dans un corps-à-corps au seuil d'une surface dans un nuage de poussière charbonneuse qui enregistre le mouvement d'une lutte à vie.

C'est une autre partie qui consiste a laisser le dessin sous la responsabilité de l'institution qui l'a sollicité. Puisque je ne fixe pas mes dessins, la présence d'une surface aussi fragile pour laquelle je refuse toute protection est un casse-tête pour les personnes qui doivent la conserver. 
Les visiteurs touchent. Ce n'est pas un risque, c'est un fait. Ce désir est d'autant plus irrépressible lorsqu'ils doutent de la matérialité de ce qu'ils voient. La main vient vérifier ce que l’œil ne parvient pas à décoder. Le touché s'imprime immédiatement sur le dessin et les premières marques souvent accidentelles attirent les suivantes. Une partie de celles-ci se situent généralement sur le bord droit du dessin et semble simplement traduire l'envie des visiteurs de marquer leur passage.
Non, il n'est pas autorisé de toucher le dessin, mais rien ne l'empêche. C'est une tension entre les gardiens qui surveillent, les visiteurs et le dessin. Les gardiens du musée avaient très bien compris ce principe et avaient fini par s'attacher au dessin et à sa condition organique. Un dessin réactif. 

C'est une autre paire de manche pour l'institution qui doit supporter une œuvre qui enregistre toutes les indélicatesses de son public et affiche les limites de sa capacité à conserver des œuvres intactes. Disons très simplement que ça fait désordre et on m'a très souvent demandé de venir restaurer le dessin même si ce principe de "dégradation" avait été accepté dès le départ. 
 
J'ai toujours refusé de le faire, mais je ne suis pas rigide et j'aime mettre mes convictions à l'épreuve. Pour ce seul cas, je suis venu restaurer le dessin en cours d'exposition. Les gardiens ont été choqués par ce revirement. Cette réaction m'a convaincu qu'ils étaient complètement investis dans la vie de ce dessin et que je ne pouvais plus venir impunément la distraire. Ce jour-là, le restaurateur que j'étais est apparu comme un intrus. J'interrompais un rythme biologique pour le mettre sous perfusion. Le dessin méritait un suivi, un accompagnement dans sa dégradation, mais pas ce traitement de choc, pas cette restauration, cette annulation de tous les soins et attentions qu'on lui avait porté. Si j'avais dit aux gardiens qu'ils ne servaient à rien, l'effet n'aurait pas été plus négatif. 
La vitalité du dessin a quand même repris son cours et de nouvelles traces sont apparues. Quant à moi, je n'ai pas oublié la leçon.

Qui est Pierre Bourgogne ? Je n'en ai toujours pas la moindre idée, mais il a occupé mon existence et celle de gardiens et visiteurs pendant quelques mois. Sa présence est redevenue sensible. Il n'est pas rare, 5 ans après, qu'on m'en reparle. Le dessin a disparu, mais il vibre encore. Son corps plane désormais dans l'esprit de quelques personnes, sur internet et dans les rares conférences que je donne sur mon travail. 

Comment se faire des amis lorsque l'on est un fantôme ? Il faut trouver de bonnes circonstances ainsi qu'une consistance adéquate pour se manifester. Il faut savoir se rendre nécessaire.

 La conclusion du cartoon The Friendly Ghost dit que si vous avez crû à cette histoire de fantôme, c'est ce qui s'est passé... Et que si vous n'y avez pas crû, c'est ce qui s'est passé de toute façon.

lundi 23 avril 2018

Repentir

Sœurs, 24 x 19 cm, acrylique sur toile, 2018, collection privée © guillaume pinard
 
Madeleine et Mary Collinson sont célèbres pour avoir été les premières vraies jumelles employées comme Playmates. C'est dans le numéro d'octobre 1970 du célèbre magazine Playboy qu'elles sont apparues pour la première fois.

Madeleine et Mary Collinson

C'est la peintre Nina Childress qui a attiré mon attention sur elles. Elle venait de finir une série de tableaux réalisés à partir d'images de ces sœurs issues de magazines ou de films dans lesquels elles étaient apparues lorsque nous avons été invités à exposer ensemble.

Nina Childress — twin beds — 2017— huile sur toile — 60 x 73 cm

Elle m'a proposé ce sujet comme point de départ de notre exposition. 
Qu'un duo occasionnel de peintres puisse proposer une exposition sur un sujet marqué par l'image du double dans un univers érotique était séduisant. J'ai accepté. En peinture, le dédoublement est si chargé de références historiques qu'il peut vite confiner à l'exercice de style. Je n'ai pas tout à fait échappé à cet écueil. Je peux même avouer que si j'aime notre exposition et les tableaux qu'a suscitée cette relation picturale, j'ai maintenant le sentiment de n'avoir compris l'intérêt de ce sujet qu'après-coup et qu'à ce titre le travail reste à faire. 
C'est le dernier tableau que j'ai réalisé pour ce projet (le sujet de ce post) qui m'a mis la puce à l'oreille. D'abord, je n'ai pas vu la qualité de ce tableau. J'ai même hésité à le présenter dans l'exposition. Il me semblait trop éloigné de l'univers érotique des jumelles Collinson. Trop tendre. Sa justification était pourtant logée dans le twin beds de Nina Childress. Elle me crevait les yeux, mais je ne la voyais pas.

Il aura fallu que je visite l'exposition de Mary Cassatt au Musée Jacquemart-André pour formuler mon idée. Je connaissais déjà bien le travail de Mary Cassatt. J'avais repris un de ses tableaux dans un dessin mural présenté en 2013 à la Galerie Edouard Manet de Gennevilliers. C'est d'ailleurs l'apparition de ce tableau sur l'affiche de l'exposition (aperçue dans les couloirs du métro) qui a attiré mon attention sur cet évènement et qui m'y a conduit. Ce tableau étant conservé à la National Gallery of Art de Washington, je n'avais pas eu l'occasion de le voir sur pièce. C'était donc l'occasion d'y remédier.


Lorsque j'avais choisi ce tableau pour en faire un dessin mural, plusieurs conditions avaient alors présidé à ce choix : Gennevilliers d'abord, cité de peintres impressionnistes dont je souhaitais rappeler l'histoire sans sombrer dans le cliché, ensuite la conscience que je n'avais pas encore travaillé à partir de l'œuvre d'une femme peintre et qu'il était temps de corriger ce défaut ; et enfin, l'indolence enfantine d'une fillette vautrée sur un fauteuil cossu dont j'imaginais la portée de l’agrandissement. 

J'aime la photographie que j'ai prise de mon dessin mural et dans laquelle on voit cette fillette devenue géante, reine avachie dans sa condition bourgeoise, qui domine et toise son monde.

Mary, Dessin au fusain, 300 x 400 cm.
Vue de l'exposition « .doc», une proposition du label hypothèse, galerie Édouard-Manet, Gennevilliers, 2013
© Guillaume Pinard
 
Dans l'exposition de Marie Cassatt au Musée Jacquemard André, je suis tombé sur le portrait d’Alexander Cassatt (frère de Mary) et de son fils. J'ai tout de suite fait le lien avec ma petite peinture. Deux corps qui se mélangent par les cheveux et par le corps, un corps filial ou flottent deux paires d'yeux alignés et mélancoliques, comme absentés du monde.

   Mary Cassatt, Portrait d’Alexander Cassatt et son fils, Robert Kelso Cassatt, huile sur toile, 100.3 × 81.3 cm, 1884, Philadelphia Museum of Art

Revenant à l'exposition partagée avec Nina Childress, je me suis alors dit que notre sujet n'était pas la gémellité, le double ou je ne sais quelle autre idée formelle. J'ai pensé que l'évènement de l'irruption des sœurs Collinson dans l'univers de la photo de charme ne tenait pas à l'étrangeté de leur ressemblance, mais au fait que cette ressemblance indiquait leur filiation et par conséquent l'entrée de la famille dans l'érotisme. Cette irruption incarnait la désacralisation de l'institution familiale avec le mélange de joie et d'angoisse mélancolique qu'implique toute profanation. 
La pose adolescente des sœurs Collinson dans le twin beds de Nina Childress confrontée à une femme sexualisée par sa tenue transparente rouge au milieu d'une chambre, dont on ne sait pas si c'est une chambre d'adolescentes ou bien un motel glauque, suscite un érotisme retors. Contemple-t-on l'émancipation de deux jeunes filles surprises de se réveiller en tenue de lolitas au milieu d'un bordel ou bien les prémices d'un fait divers ?
De la même manière, le tableau de Mary Cassatt est tendre par la pose du père et de son fils, cependant que les deux protagonistes ne semblent rien partager de leur méditation ; comme si les convenances sociales qui régissaient leur lien filial les figeaient dans la crampe, que la tendresse désirée ne trouvait pas encore de chemin pour s'exprimer. 

Le décalage entre la tendresse filiale et la violence des conventions sociales, l'immersion de cette douceur dans l'érotisme et ses clichés : voilà ce qu'auraient dû être mes sujets...

vendredi 9 mars 2018

Pour salir le perron

Le méchant, 50 x 50 cm, acrylique sur toile, 2017, collection privée © Guillaume Pinard
 
Le mariage du ciel et de l'enfer est un recueil de poésie en prose écrit par William Blake entre 1790 et 1793. Il a été le sujet d'une récente exposition personnelle à l'Artothèque Les Arts au Mur de Pessac. C'est au premier texte de ce recueil (traduit par André Gide) que j'ai emprunté le titre de l'exposition. Où la ronce croissait on a planté des roses

Rintrah rugit et secoue ses feux dans l’air épais ;
D’affamés nuages hésitent sur l’abîme.
Jadis débonnaire et par un périlleux sentier,
L’homme juste s’acheminait
Le long du vallon de la mort.
Où la ronce croissait on a planté des roses
Et sur la lande aride
Chante la mouche à miel.

Alors, le périlleux sentier fut bordé d’arbres,
Et une rivière, et une source
Coula sur chaque roche et tombeau ;
Et sur les os blanchis
Le limon rouge enfanta.

Jusqu’à ce que le méchant eût quitté les sentiers faciles
Pour cheminer dans les sentiers périlleux, et chasser
L’homme juste dans des régions arides.

À présent le serpent rusé chemine
En douce humilité,
Et l’homme juste s’impatiente dans les déserts
Où les lions rôdent.

Rintrah rugit et secoue ses feux dans l’air épais ;
D’affamés nuages hésitent sur l’abîme.

Pendant deux mois, j'ai travaillé sur cette exposition dans une mauvaise direction et j'ai changé de cap quelques semaines avant le vernissage. Cet autoportrait est la seule peinture qui a résisté à ma nouvelle orientation et qui fut présenté dans l'exposition.

Le premier scénario m'avait fait peindre les différents motifs de ce texte (Rinthra rugit, affamés nuages, périlleux sentier, etc.) en les traitant dans des registres différents. Mon autoportrait avait le rôle du méchant. Il a gardé ce titre.
 
Dans cette poésie, il est difficile de savoir si l'homme juste et le méchant sont deux personnes différentes ou bien les deux faces d'une même figure qui versent l'une dans l'autre au fil d'une poésie structurée comme une boucle.

En plaçant le méchant de ce côté de la surface du tableau, le spectateur pouvait imaginer être du bon côté de la barrière, mais mon regard était manifestement concentré vers une toute autre direction.

J'ai peint énormément de visages qui regardent intensément le spectateur. Je crois que j'aime l'interpeller, le fasciner en même temps que je veux le repousser, ou plutôt le tenir à une distance raisonnable, juste devant le tableau, tout prêt, à fleur de toile. Mes volte-face incessantes dans la pratique relèvent du même dessein. Un travail homogène prendrait le risque de voir ses spectateurs s'y installer pépères, sans plus de vigilance, sans plus de nerfs.

En me représentant, je ne voulais pas prendre le risque de la connivence, du clin d'œil ou de l'aveu et déroger à mon programme. Il fallait absolument que je sois le méchant dans une peinture indifférente à son public ; qu'une fois encore, je laisse tout le monde à la porte du tableau.

C'est la bonne occasion pour expliquer maintenant l'intitulé de ce blog.
Il est issu de ce passage du livre de Franz Kafka Le château.

“ K. s'aperçut que tout le monde attendait Erlanger. Erlanger était déjà là, mais conférait encore avec Momus en attendant de recevoir les gens. La conversation générale traitait de l'obligation où l'on se trouvait d'attendre dehors dans la neige au lieu d'entrer dans la maison. Il ne faisait pas très froid, mais c'était tout de même un manque d'égards que de laisser en pleine nuit les gens attendre devant la maison pour des heures peut-être encore. Ce n'était sans doute pas la faute d'Erlanger qui était très accueillant, ignorait la situation, et fût certainement fâché si on la lui avait apprise. C'était la faute de l'hôtelière qui, maladivement avide de distinction, ne voulait pas tolérer que les gens entrassent en trop grand nombre à la fois dans l'hôtel. 
- S'il le faut, s'ils doivent entrer, disait-elle souvent, alors, pour l'amour de Dieu, que ce soit l'un après l'autre !
Et elle avait fini par obtenir que les gens, qui allaient d'abord dans le couloir, puis dans l'escalier, puis dans le vestibule et finalement dans la salle de café, fussent refoulés dans la rue. Et elle n'était pas encore satisfaite ! Elle trouvait insupportable, pour employer son expression, d'être constamment "assiégée" dans son propre logis. Elle n'arrivait même pas à comprendre pourquoi les gens venaient. "Pour salir le perron", lui avait dit un jour, probablement dans un moment d'irritation, un fonctionnaire qu'elle questionnait ; mais elle avait trouvé ce motif lumineux et elle aimait à le citer. ”

Comme mes peintures, j'espère que ce blog aura la force d'obliger un peu ses lecteurs à salir le perron.

jeudi 8 mars 2018

Les métamorphoses de Tom Cruise

Vioc, série Les métamorphoses de Yan' Dargent, 24 x 19 cm, acrylique sur toile, 2014, collection privée © Guillaume Pinard
 
Lorsque j'ai commencé ce tableau, c'était pour faire le portrait de Tom Cruise. Je travaillais alors sur le texte de mon livre Amor dont l'acteur américain est l'un des protagonistes et je voulais étudier son visage.  On ne peut pas dire que mon entreprise fut couronnée de succès. Tom Cruise a emprunté un visage inattendu. 
Lorsque le 16 février 2014, je postai ce portrait comme image de profil de mon compte facebook, quelqu'un me fit remarquer que ce visage faisait penser au buste présumé de Bion de Borysthène ; un buste retrouvé dans l'épave d'un bateau qui avait coulé près d'Anticythère au Ier siècle avant J.C.


L'exploration de cette épave initiée entre 1900 et 1901 par la Grèce, puis reprise en 1976, avec l'aide du Commandant Cousteau est fameuse pour le trésor qu'elle y découvrit : la machine d'Anticythère, le premier calculateur analogique de l'histoire. 

Mais revenons à Bion de Borysthène.

" Esprit brillant, il excella surtout dans la satire, n'épargnant aucun lieu commun ni aucune des croyances ou superstitions de son temps. Ses contemporains le considéraient comme athée et Diogène Laërce le comptait parmi les Sophistes. Il est considéré comme le fondateur du genre littéraire de la diatribe qui servit utilement la diffusion de la philosophie populaire. Il entreprit d'accommoder le cynisme à l'hédonisme de Théodore de Cyrène. Il prit violemment parti contre les pratiques religieuses et enseigna que la mort amène l'anéantissement de l'âme."
Wikipédia

Voilà le problème auquel je me retrouve constamment confronté lorsque je peins. Je veux quelque chose et j'en obtiens une autre. Je fais d'interminable recherches sur la vie et la carrière de Tom Cruise. Je le place au centre de l'action d'un de mes livres et lorsque je veux faire son portrait, je me retrouve propulsé au IIIe siècle avant J.C. avec un philosophe cynique. Je pourrais certainement me moquer de cette digression et passer à autre chose, mais le sors que me fait ce signal m'oblige à présumer une malice du destin, l'obligation de décoder cette énigme. Ainsi, je circule dans un monde qui ne révèle jamais son sens, mais qui apparaît toujours sous la forme d'incongruités, d'associations aberrantes, dont je crois devoir dévoiler la logique. Quel rapport y a t'il entre Tom Cruise et Bion de Borysthène ? Voilà le genre de plaie qui saigne dans mon cerveau irrationnel ; le genre d'abcès que je dois crever tout en sachant que cette opération ne fera avancer aucune cause. 
C'est une forme d'hystérie. Mon corps et mon esprit sont les marionnettes de la mise en scène approximative de la connaissance. Partout ou la discontinuité apparait entre les motifs, entre les termes, je suis pris de délire associatif.

Dans ce cas et pour justifier le couple, je n'ai trouvé qu'un fragment écrit par le philosophe qui prend le métier d'acteur comme métaphore de la conduite à adopter dans l'existence. 

« De même qu’il faut, pour le bon acteur, bien jouer son rôle quel que soit celui que lui ait attribué le poète, de même pour l’homme de bien, quel que soit celui que lui ait attribué la Fortune. C’est elle en effet qui, telle une poétesse, attribue tantôt un premier rôle, tantôt un second rôle ; tantôt un rôle de roi, tantôt un rôle de mendiant. Ne t’avise donc pas, si tu es le second rôle, de vouloir le premier rôle : si tu t’y risques, ta prestation sera inappropriée»

À cette époque, j'en reste là.

Cependant, en 2014, je fais une exposition personnelle à la Galerie Anne Barrault intitulée Royal Iris (encore un titre à double entrée qu'il serait trop acrobatique de démêler ici. Je remets ce chantier à plus tard. Cet article a déjà trop de grain à moudre pour que je m'attarde sur ce chantier. Vous vous contenterez du sens le plus littéral).

Une affiche est imprimée et accrochée sur la vitrine de la galerie pour annoncer l'exposition aux passants. Je choisis le visage de " Tom Cruise " comme image. Entre temps, j'avais baptisé le tableau Vioc


Puis, en 2016, je suis invité à produire une exposition personnelle au Quartier, centre d'art contemporain de Quimper. C'est la prochaine publication de mon livre Amor, (sur lequel je travaille donc depuis 2 ans) qui est à l'origine de ce projet. L'exposition s'intitulera Un trou dans le décor. Une partie de cette exposition évoquera la figure d'un peintre et illustrateur breton de la deuxième moitié du XIXe siècle : Yan' Dargent.

Aujourd'hui, la réputation de Yan' Dargent est cantonnée au Finistère où il a produit quelques décors sacrés pour des édifices religieux et singulièrement pour la cathédrale de Quimper. De son vivant, sa carrière de peintre n'ayant pas pris, il vécut de l'illustration. Cependant, c'est sa mort qui le rendit célèbre ou plutôt l'exécution par son fils et le prêtre de Saint-Servais de ses dernières volontés. Yan' Dargent avait demandé que son corps soit exhumé de sa sépulture cinq ans après son décès, que sa tête soit retirée de son buste et placée dans un reliquaire de l'église de Saint-Servais où se trouvait déjà la tête de sa mère et de son oncle. Ce n'est que huit ans après le décès du peintre que l'exécution testamentaire fut finalement engagée. Cet évènement anachronique déclencha une guerre juridique entre les différents membres de la famille et attira la curiosité de la presse nationale qui fit de cette histoire un fait divers de l'année 1905. 

La découverte de cette histoire m'obséda, sa tête devint une hantise et je lui réservai une salle dans mon exposition. Je produisis une série de portraits en peinture et sculpture baptisée Les métamorphoses de Yan' Dargent.

En découvrant une photographie du peintre (de son vivant), je fus frappé par la ressemblance de celui-ci avec mon vioc. Ma peinture intégra dont cette série comme si elle avait été conçue pour elle et Yan'Dargent vint succéder à Bion de Borysthène et Tom Cruise

Les métamorphoses de Yan' Dargent, 30 x 20 x 15 cm, techniques mixte, 2016, collection privée © Guillaume Pinard
 
Dernier épisode en date : une exposition personnelle en 2017 à l'Artothèque Les Arts au Mur de Pessac (Où la ronce croissait, on a planté des roses), où l'on retrouve le portrait anonyme au milieu d'une foule de 40 portraits reproduits sur des posters.

Vue d'exposition à l'Artothèque les Arts au Mur de Pessac, 2017, Photo : Gaëlle Deleflie.

Alors quoi ? Et bien, après 4 ans à mon service - dans des rôles aussi différents qu'un penseur grec de l'antiquité, un vioc, un artiste breton du XIXe siècle, ou un anonyme au milieu d'une foule, sans que jamais sa véritable identité n'ait pu être suspectée - je peux conclure que Tom Cruise est vraiment un brillant acteur.

lundi 5 mars 2018

Le mur du fond

Feu, 24 x 19 cm, acrylique sur toile, 2015, © Guillaume Pinard
Le 27 juin 2015, j'assistais à un feu de la Saint-Jean à Lillemer, petite commune en Bretagne. Le 28, je peignais ce tableau.

“ La fête de la Saint-Jean, traditionnellement accompagnée de grands feux de joie, est la fête de Jean le Baptiste, le 24 juin. Elle est proche du solstice d'été dans l'hémisphère nord, qui a lieu le plus fréquemment le 21 juin. Le solstice d'été est fêté depuis longtemps. L'origine de cet événement est lié au culte du soleil. Les feux de solstices étaient à l'origine des fêtes païennes. L'Église catholique a ensuite christianisé la pratique païenne, selon sa politique traditionnelle. ” Wikipédia

En 2016, j'ai décidé de reproduire sur le mur de mon exposition Du Fennec au Sahara à la chapelle du Généteil à Château-Gontier ce petit tableau dans des dimensions monumentales.


Il y avait une signification ambivalente à allumer un feu dans une ancienne chapelle. Cette palpitation entre le vandalisme et le sacré me convenait. Je me demande au fond si cette peinture murale n'était pas un énorme vortex dans lequel toutes les œuvres présentées dans l'exposition devaient finir par s'abîmer.

Si mes présentations sont toujours fractionnées par de nombreux éléments, je n'aime pas pour autant laisser bâiller la porte.

Lorsque je réfléchis à l'accrochage d'une exposition, je prends toujours grand soin du " mur du fond ". Je n'entends pas strictement par " mur du fond " celui qui se trouve au bout de l'espace d'accrochage, mais un mur sur lequel toutes les germinations de la présentation vont s'agréger pour former une sorte d'alchimie, où l'expérience de la visite va aboutir et le regard du spectateur se métamorphoser.

J'imagine mes expositions comme des grottes préhistoriques (on sait que les hommes préhistoriques vivaient sur le seuil des cavernes, réservant " le mur du fond " aux rituels chamaniques). Mon problème consiste donc en grande part à transformer le visiteur pour qu'il passe de la danse à la transe, que son chemin l'oblige à ralentir le pas et à lever la tête.

Je veux qu'il quitte la rue pour faire l'expérience d'une modification.

Il arrive par moment que cette expérience aille au-delà de mes espérances.



samedi 3 mars 2018

Un os à désirer

La diligence, 70 x 50 cm, acrylique sur toile, 2015, © Guillaume Pinard
En 2016, mon exposition personnelle à la galerie Anne Barrault s'intitulait La diligence. J'utilise souvent ces métaphores véhiculaires. J'imagine l'exposition comme un lieu où sont réunis plusieurs personnages, des tableaux, tous différents, embarqués dans une diligence qui doit traverser un paysage. Je pense au film de John Ford, Stagecoach (La chevauché fantastique en VF) et la manière dont les protagonistes s'opposent au début du film puis finissent par être soudés par le danger que représente leur traversée. C'est ça ! Une exposition est une chevauchée hantée par la menace d'être attaqué par l'ennemi : ces indiens de spectateurs, sans lesquels néanmoins le rapprochement entre les œuvres ne pourra pas se faire. Et puis le mot diligence évoque la rapidité. C'est un mot qui va très bien avec ma façon de travailler. Vite !
Après avoir choisi mon titre, j'ai - comme à l'accoutumé - essayé d'exhausser la promesse que j'avais formulée.

J'ai commencé par peindre une carriole au milieu d'un fond rose sable, une carriole abandonnée dans un désert. Un esprit canin s'est alors manifesté et la carriole est devenue le visage de son intériorité, grâce à laquelle l'esprit du chien a trouvé son mobile, le véhicule de son désir, par quoi il a conçu un os à désirer.

Ce tableau révèle ma tendance à l'animisme. Peindre ou dessiner, former des êtres n'est pas chez moi dépourvu de magie, du besoin d'entretenir une relation avec des êtres humains ou inhumains. Tout me regarde et je veux, motif après motif, pouvoir être absorbé par ce regard. La peinture est un bon outil pour remarier des éléments que la pensée a séparé. Si je demande aux spectateurs de mes expositions de relier des éléments distincts, c'est parce que je crois qu'une seule énergie relie tous les êtres animés ou inanimés ; une énergie qui ne m'appartient pas en propre, mais dont je souhaite être le modeste témoin.

vendredi 2 mars 2018

Madeleine Brissou



La rencontre, 30 x 30 cm, acrylique sur toile, 2015, collection privée © Guillaume Pinard

 Au musée des Beaux-Arts de Rennes et entre autres merveilles il y a un petit tableau de Pablo Picasso issu d'un de ses séjours à Dinard. Ce tableau a tout pour me plaire. Il est de petite taille. Il représente une femme nue qui joue sur la plage et exhibe son intimité sans pudeur. Il semble avoir été peint rapidement. Sa composition est simple, mais d'une efficacité redoutable. Bref, de cette œuvre, se dégagent une joie et une liberté communicative et salvatrice. Voilà des sentiments que j'aime voir émaner d'une peinture.

Baigneuse, 24,5 x 35 cm, huile sur toile, 15 août 1928, Pablo Picasso, Musée des Beaux-Arts de Rennes
Ma peinture la rencontre est un clin d'œil explicite à celle de Picasso.

Quelque temps plus tard, je découvre le film de Woody Allen Minuit à Paris sorti en 2011.

Je rappelle ici l'histoire. Un résumé glané sur Wikipédia.
" Gil (Owen Wilson) et Inez (Rachel Mc Adams) sont deux jeunes fiancés américains préparant leur mariage. Ils passent quelques jours à Paris, accompagnant les parents d'Inez venus en France pour affaires. Alors que Gil est sous le charme de la capitale française et envisage de s'y installer, ni sa promise, ni ses futurs beaux-parents ne l'apprécient outre mesure. La rencontre inopinée avec un autre couple américain dont le mari est un ancien flirt d'Inez, suffisant et imbuvable, va contribuer à éloigner un peu plus les jeunes fiancés.
Gil parcourt la ville à la recherche de l'inspiration pour son prochain roman et, alors que les douze coups de minuit ont sonné, il est invité à monter dans une vieille voiture qui va l'emporter vers le Paris des années 1920. Au fil des nuits, il va alors rencontrer Zelda et F. Scott Fitzgerald, Cole Porter, Ernest Hemingway, Juan Belmonte, Gertrude Stein, Pablo Picasso, T. S. Eliot, Salvador Dalí, Luis Buñuel, Man Ray, Henri de Toulouse-Lautrec, Henri Matisse… Il va peu à peu tomber amoureux d'Adriana (Marion Cotillard), qui est alors l'égérie de Picasso après avoir été celle de Modigliani. "

Dans son deuxième voyage à travers le temps, Gil se retrouve chez Gertrud Stein. Elle polémique avec Pablo Picasso sur le sens d'une de ses dernières peintures. Et quelle peinture ? Notre peinture ! La baigneuse du 5 août 1928 ! Mais surprise, le format de la peinture a changé. Nous sommes passés - à vue d'oeil - d'un châssis 5P (24 x 35 cm) à un 25P (60 x 81 cm).
On se demande pourquoi la décoratrice Anne Seibel et/ou Woody Allen ont choisis un si petit tableau pour finalement le reproduire en si grand. Oui, il passe mieux à l'écran dans ce format, mais l'œuvre de Picasso est assez riche en tableaux de baigneuses ou de femmes nues pour en trouver un qui réponde aux besoins de la scène. Et puis les commentaires de ce Picasso d'opérette sur son tableau sont 100% fictionnels. Il prétend avoir peint le portrait d'Adriana (Marion Cotillard). Or, Adriana n'a jamais existé. Elle ne correspond à aucune amante connue de Picasso. Si ce tableau devait représenter une de ses maîtresses, ce serait Marie-Thérèse Walter dont il tombe amoureux en 1927, mais qui ne vient à Dinard qu'en 1929. La photo que Picasso prend d'elle en 1929 est d'ailleurs peut-être un moyen d'exhausser le fantasme de sa peinture de 1928. Bref, admettons la fiction et le rêve du voyageur dans le temps et autorisons à Woody Allen toutes ces libertés d'auteur.

Marie-Thérèse Walter on the beach at Dinard, summer 1929. Photograph by Picasso, Collection Maya Widmaier Picasso

Mais quelques minutes plus tard, quand l'écrivain Gil revient dans le présent et qu'il est embarqué avec sa femme dans une visite guidée au musée de l'Orangerie conduite par un certain Paul, un historien de l'art dont on comprend que Woody Allen veut en faire un personnage hautain et antipathique, nous retrouvons la baigneuse exposée ! Notre baigneuse qui a encore changé de taille sans retrouver pourtant celle de originale. (Je passe sur la qualité de la reproduction qui ne parvient même pas à faire illusion à l'écran. Ce qui est pourtant le minimum requis.). Et voilà ce que Paul dit à propos de ce tableau : 

" If I’m not mistaken he painted this marvelous portrait of his French mistress Madeline Brissou in the twenties ".


Madeleine Brissou ? On vient déjà de faire l'effort d'accepter Adriana comme amante fictive de Picasso et maintenant, il faut avaler Madeleine Brissou ? Ok, Pablo Picasso a peint une Madeleine aux alentours de 1904. Elle fut sûrement sa maîtresse. Mais en 1904 et pas en 1928 ! Et elle ne s'appelait pas Brissou ! Alors d'où sort cette Madeleine Brissou ? Et bien de l'imagination de Woody Allen, au même titre qu'Adriana dont elle est certainement le pendant imaginaire dans le monde présent. Pourquoi Woody Allen a t'il décidé d'inventer cette identité fictionnelle au milieu de tous ces personnage historiques ? Je ne comprends pas. Par contre, je suppose que le choix du tableau a été motivé par les frais de reproduction de l'œuvre à l'écran. Ils sont exorbitants pour des artistes de ce calibre et le choix de ce tableau moins connu a dû rendre l'ardoise acceptable.

Que les raisons soient acceptables ou pas, j'aime que la taille originale d'un tableau puisse finir par nous échapper. En raison de la multiplication des reproductions sur internet, cette tendance se généralise. Les dimensions, mais aussi le titre et la date de réalisation, voire son attribution sont désormais soumis à caution. Cette image publiée sur iphotoscrap en témoigne qui entérine la fiction de Woody Allen.



Où celle-ci, publiée sur un site culturel espagnol qui indique une date de réalisation erronée.
On pourrait multiplier les exemples...


Il me plait d'enquêter pour remonter la piste du tableau original et accéder à son coffre-fort, d'enfiler les pièces à conviction pour finalement découvrir - comme pour les chaudrons aux pieds des arcs-en-ciel - que ces coffres n'existent pas ; qu'il n'y a pas de secret caché au cœur des œuvres d'arts, mais une capacité chez elles à produire une animation parasitaire, à propager une rumeur, un écho, une illusion propre à nous fasciner. Si l'on débarrasse l'œuvre d'art de ce nuage, de ce bruit de fond, si la connaissance n'est pas à la hauteur de ce papillonnement, l'œuvre se raidit et son mystère flétrit.

Cartes postales qui reproduisent mon tableau La rencontre, 2016 © Guillaume Pinard & Galerie Anne Barrault

mercredi 28 février 2018

Muchas gracias Yvan

Muchas gracias, 120 x 100 cm, acrylique sur toile, 2016, © Guillaume Pinard
Le jeu d'Ivan Lendl n'était pas passionnant. Yvan Lendl n'était pas beau. Yvan Lendl n'était pas charismatique. Yvan Lendl était Tchékoslovaque, ce qui, dans les années 80 ne faisait rêver personne. Yvan Lendl ne faisait pas le show et était antipathique auprès du public français. Personne ne voulait voir gagner Yvan Lendl. Pourtant, Yvan Lendl a été un des joueurs les plus titré de l'histoire du tennis et il a apporté la plus grande révolution au tennis moderne. Il a professionnalisé son sport. Ce qui est banal aujourd'hui pour un sportif de haut niveau : entrainement intensif, vie seine, alimentation diététique, matériel hightech ne l'était pas au début des années 80 dans le tennis mondial. Nous voulions des artistes, des danseurs, des beaux gosses, mais nous ne voulions pas de pros, de machine à gagner. Yvan Lendl a été le seul à prendre cette voie et il a dominé sa discipline, jusqu'à ce que sa méthode s'impose au reste des joueurs.

Yvan Lendl

Aussi, lorsqu'en 1989, le jeune Michael Chang, 17 ans, alors inconnu du public battit le numéro 1 mondial en quart de finale de Roland Garros avec un jeu d'une invention et d'une audace inédites, nous - les spectateurs esthètes - nous sommes sentis vengés. Mais c'était le chant du cygne d'une époque. Certes, cette année là, Michael Chang est devenu le plus jeune vainqueur des internationaux de France, mais par la suite, son jeu s'est vite standardisé pour s'adapter à l'air du temps. La méthode Lendl s'était imposée. Les bodybulders avaient envahi les cours de tennis et l'ennui s'était installé dans les tribunes. Cet ennui a duré des années. Jusqu'à ce que cette progression athlétique et technique se stabilise et que la singularité redevienne un élément constitutif du jeu.


Lorsque j'ai commencé cette peinture, je voulais donc faire un portrait d'Yvan Lendl. Je voulais montrer le visage d'un des papes de la professionnalisation. Mais mon tableau a dégénéré. Le héros a pris du poids, une grosse moustache, une large chevelure et sa peau s'est halée. De la froideur d'une machine à gagner des matchs, je suis passé à un personnage bonhomme qui évoque plus l'hémisphère sud que l'Europe centrale. On ne se refait pas.

Et finalement, en faisant des recherches sur le sportif, qu'est-ce que je découvre ? Qu'Yvan Lendl est un collectionneur d'art ? Qu'il possède la plus importante collection privée d'affiches et panneaux décoratifs consacrée à l'affichiste et peintre tchèque Alfons Mucha ? Qu'il a commencé sa collection au tout début des années 80 ? Argh... Décidément, ce monde n'est vraiment pas simple. Muchas gracias Yvan !

Bébé pépé

Bébé pépé, 2023, Acrylique sur toile, 40x30, ©guillaume pinard À plusieurs reprises, il m'est arrivé de prendre des poupées comme modèle...